L'affaire de Lola est un peu l'envers du problème de l'accès à la justice.

Est-ce que, simplement parce qu'elle a des ressources illimitées, une personne peut mobiliser la cour et l'obliger à se prononcer sur une question déjà tranchée par les tribunaux?

Apparemment, oui.

Car enfin, le recours extraordinairement médiatisé de cette femme n'avait pas la moindre chance de succès. Tout le monde savait ça depuis le jour 1. Je l'ai écrit. D'autres aussi. On peut même penser que le but de l'opération était de se servir de ce recours comme moyen de pression sur son ex-conjoint milliardaire.

Sur le point central de la requête de Lola, la Cour suprême s'est prononcée en 2002. Non, le fait que les conjoints de fait ne bénéficient pas des mêmes protections que les personnes mariées n'est pas discriminatoire ou autrement inconstitutionnel. Question de liberté de choix.

Certes, c'était une cause de la Nouvelle-Écosse, province de common law. Mais les principes soulevés étaient exactement les mêmes.

Pas une seule personne bien informée ne pensait que la juge Carole Hallée allait mettre à terre le régime juridique de l'union de fait au Québec - dans lequel vivent un million de personnes.

Pas grave ! Chacun a droit à sa journée à la cour - pourquoi pas des semaines? Et maintenant que le jugement Hallée est sorti, qui réfute minutieusement tous les arguments de Lola comme prévu, son avocate nous annonce un appel.

Appel voué à l'échec, bien entendu. Et suivi d'une demande de permission en Cour suprême. The show must go on.

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Il arrive ceci d'étonnant avec les causes sans avenir : quand elles sont bien montées, à grands frais, et gonflées d'arguties de luxe, les tribunaux se sentent obligés d'y répondre tout aussi luxueusement. D'entendre pendant des jours des plaidoiries qui ne vont nulle part. Et de se fendre de jugements consciencieux de 50 ou 100 pages, uniquement pour répondre à l'orgie d'arguments avancés. C'est le cas du jugement Hallée.

Jugement irréprochable et très bien motivé auquel je n'ai rien à redire, sinon que l'essentiel tient en une ligne enfouie au paragraphe 291: l'arène politique demeure le forum approprié pour changer le droit matrimonial de la manière radicale réclamée par Lola. Cela ne relève pas des tribunaux (paragraphe 249).

Je sais bien qu'il est plus facile de trancher des affaires dans une chronique que dans une salle d'audience. Je sais aussi que chacun a le droit d'avancer des arguments, y compris quand chacun croit qu'ils échoueront.

Je remarque simplement que, pendant que certains se paient des voyages judiciaires en première classe, le justiciable moyen attend son juge à l'étroit sur sa liste d'attente.

En ce sens, une des causes invisibles de l'inaccessibilité des tribunaux est la trop grande patience judiciaire.

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La juge Hallée note que Lola a engagé 1,15 million de dollars en honoraires d'avocats en date du 8 janvier. Plus 345 000$ en frais d'experts. Tout cela est payé par son ami (un homme mariable!).

La meilleure: Lola réclamait que ces sommes, que son ami ne lui demande pas de rembourser, soient payées par son ex et par les deux ordres de gouvernement. Autrement dit: prière de subventionner son combat judiciaire.

La juge a évidemment refusé. Il y a tout de même des limites, réjouissons-nous.

Ce qu'il faudrait, ce serait plutôt une taxe à l'amusement judiciaire et une gestion plus sévère des instances.

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En attendant, notons que cette affaire a au moins servi à en réveiller quelques-uns. Eh! non, votre conjoint ne vous doit rien de rien si vous n'êtes pas marié, même si vous avez 18 enfants et que vous avez sacrifié votre carrière à la famille.

Stupéfiant à quel point la naïveté et l'ignorance juridique conjugale sont profondes au Québec, les sondages en témoignent.

Là-dessus, donnons raison à l'avocate de Lola, Anne-France Goldwater, qui a commencé à elle seule cette campagne de publicité et d'éducation populaire qu'elle réclame à l'État.

Pour ça, même si ce n'était pas le but de l'opération, cette cause n'aura pas été inutile.