Il y a encore des gens à Montréal prêts à payer trop cher pour quelque chose de montréalais.

Juste pour ça, pour cet acte de foi dans l'avenir économique de Montréal, l'achat du Canadien par les frères Molson est une belle nouvelle pour ceux qui aiment la ville.

Quand on regarde à qui on a affaire, il y a une autre belle nouvelle cachée pour Montréal. Cette génération de Molson incarne à merveille la nouvelle génération des gens d'affaires anglophones montréalais: bilingues, profondément attachés à leur ville, soucieux de son succès.

Les Molson, pourtant, auraient pu mille fois refaire leur vie ailleurs, à Toronto ou à New York. Ça s'est vu, sous différents couverts politiques et financiers, dans la communauté d'affaires montréalaise, n'est-ce pas? Chez ceux qui n'ont pas digéré la montée du nationalisme québécois et la montée en puissance de la classe d'affaires francophone.

Geoffrey Molson, 38 ans, est de la septième génération de Molson à Montréal. Il a étudié aux États-Unis, s'est marié avec une Américaine, a travaillé dans de grandes sociétés aux États-Unis. C'est donc par choix qu'il est revenu vivre ici. Ses enfants vont à l'école française et, clairement, il est plus qu'ouvert au fait français. Son frère Andrew, 41 ans, a fait son droit à l'Université Laval.

Quelle que soit la valeur de leur raisonnement économique, voilà des gens éminemment mobiles économiquement et socialement... mais qui ont choisi Montréal, et qui viennent de le choisir encore davantage. Ils disent aujourd'hui à tout le monde qu'ils prévoient y prospérer.

Message reçu.

Le génie du baloney

Mais voyez comme les temps changent. En 2001, aucun homme d'affaires, aucune entreprise québécoise n'était intéressée à mettre un sou pour acheter le Canadien.

C'était pourtant la même équipe pleine d'histoire et de mythes. Ce grand rassembleur intermittent des Montréalais de toutes langues, religions, convictions... La dernière conquête de la Coupe n'avait que huit ans. Maurice Richard venait de mourir et nous étions des dizaines de milliers à faire la queue pour passer devant son cercueil. Je veux dire: le lien affectif était fort avec cette équipe.

Mais personne, ici, ne paraissait en vouloir.

George Gillet, lui, était prêt à mettre un sou. Pas tellement plus, mais tout de même un sou.

On était tellement content qu'il a eu le club, l'édifice (et les droits de construire en hauteur), l'usine à spectacles en ne versant que quelques millions de dollars. La brasserie Molson et la Caisse de dépôt ont financé l'affaire en plus.

Huit ans plus tard, tout le monde et les frères Molson veulent acheter le Canadien. Gillet reprend son sou et beaucoup d'autres au passage.

Quand il a acheté, personne ne prenait Gillett trop au sérieux. Il avait l'air d'un cowboy en mal de divertissement, lui qui sortait d'une faillite et qui faisait ses affaires dans une entreprise d'empaquetage de viande transformée.

Ça sentait un peu le baloney, son histoire. Avez-vous oublié?

Eh bien, ce matin, c'est lui le génie.

La brasserie Molson a vendu au plus bas, en 2001. Et les frères Molson viennent d'acheter au plus haut en 2009. Je pose une question du dimanche matin: les frères Molson sont-ils optimistes ou émotifs? Dans les deux cas, mieux vaut des acheteurs locaux.

Sauf que... autant on ne pouvait pas prévoir en 2001 que le hockey ferait le grand ménage dans ses finances en déclenchant un lock-out... autant il est présomptueux de penser que les années qui viennent seront un fleuve sportif tranquille.

Certes, Montréal restera Montréal. Mais voyez-vous tous ces sièges vides, ailleurs? Ces équipes soutenues à bout de bras par la ligue, donc les équipes qui font de l'argent, donc Montréal? La faillite de Phoenix, les autres qui menacent... Tous ces contrats de huit, 10, 12 ans. Ils ne sont pas fous, les agents de joueurs. Ils voient bien que les plafonds salariaux vont baisser, ils savent que c'est l'année ou jamais de signer pour longtemps, au plus fort. Ce modèle économique est-il vraiment prometteur, ou ne va-t-il pas encore foncer tout droit dans le mur?

Le projet de Pierre Karl Péladeau avait une cohérence économique assez évidente. Un empire de médias, qui comprendra bientôt une chaîne spécialisée. Le câble, la téléphonie mobile bientôt, le divertissement. Tout cela semblait s'intégrer brillamment. Il pouvait se permettre de payer «trop cher» parce qu'il allait profiter davantage de cette équipe qu'un simple entrepreneur en transformation des sous-produits de la viande, disons, comme M. Gillett le fut.

Dans le cas des Molson, c'est beaucoup moins clair. D'autant qu'il s'agit de la famille, certes associée de près à la brasserie, mais tout de même à part.

Comme il n'y a pas de lien nécessaire entre la propriété locale et le succès futur de l'équipe.

Il y a cependant ceci, qui n'est pas sans intérêt: le lien entre les propriétaires, l'équipe, son histoire, sa ville, et l'histoire de sa ville. C'est un acte d'enracinement économique éloquent.