Nous avons tous été frappés par la manchette, la semaine dernière : les banques devront verser 200 millions aux détenteurs de cartes de crédit du Québec.

C'est la plus grosse somme jamais accordée dans un jugement de recours collectif au Québec (il y a eu des règlements pour des sommes plus élevées).

Mais si je vous disais qu'on a... «oublié» 50 ou 70 millions sur la table des banques?

Le recours, en effet, ne visait que les cartes de crédit. Quand un détenteur de carte faisait une transaction à l'étranger, on lui facturait des frais auxquels il n'avait pas consenti. Eh bien, les cartes de débit bancaires fonctionnaient selon le même principe : on facturait au client des frais chaque fois qu'il faisait un retrait en devises étrangères.

Cette pratique a été jugée illégale dans le cas des cartes de crédit, parce que non prévue au contrat, et donc contraire à la Loi sur la protection du consommateur.

Il y a fort à parier que le juge Clément Gascon, qui a rendu cette décision historique, aurait appliqué le même raisonnement quant aux cartes de débit. Comme pour les cartes de crédit, les consommateurs n'étaient jamais appelés à accepter ces frais cachés, même pas en petits caractères.

Depuis le dépôt de ce recours, les banques ont modifié leurs contrats pour inclure ces frais... légalement. Cela fait plus de trois ans. Il est donc maintenant impossible de les poursuivre pour les frais facturés avant la modification des contrats : il y a prescription.

Pourquoi les avocats qui ont déposé la poursuite n'ont-ils pas inclus les cartes de débit, en plus des cartes de crédit? On ne peut pas courir tous les lièvres. Et puis, comme dit l'avocat Bruce Johnston, qui vient de remporter cette énorme victoire, on n'avait pas toute l'information au moment de déposer la poursuite.

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Voilà bien le talon d'Achille des recours collectifs : la précipitation dans laquelle ils sont intentés. Voyez ce qui est arrivé cette semaine : dépôt d'une demande d'autorisation de recours collectif (car il faut rencontrer certains critères) dans le cas des tests de dépistage du cancer erronés.

Normalement, si une seule personne avait voulu poursuivre le gouvernement, l'avocat aurait monté son dossier pendant plusieurs mois. Mais ici, la poursuite arrive une semaine après que la nouvelle est sortie.

Pourquoi? Parce qu'avec les recours collectifs, c'est premier arrivé, premier servi. Le premier avocat qui dépose le recours est celui qui plaidera la cause au nom de tous.

L'idée du recours collectif est de réunir des actions d'un groupe large et indéterminé, dans des cas où, souvent, la poursuite individuelle ne vaudrait pas la peine ou serait compliquée. On ne va donc pas permettre la multiplication des recours collectifs, puisque c'est un outil de mise en commun.

Voilà ce qui entraîne parfois une forme d'improvisation contrôlée... et des mauvaises surprises. On poursuit, et après on fait la recherche. Et encore, on en a souvent plein les bras avec une partie du dossier.

Au total, le recours collectif, dans le cas des cartes de crédit, a réussi à accomplir ce qu'aucun organisme réglementaire du gouvernement n'avait même tenté : obtenir une condamnation des banques à rembourser 200 millions. L'Office de la protection du consommateur prétendait depuis toujours que la LPC provinciale s'applique aussi aux banques, soumises à une loi fédérale. Mais il n'avait pas osé s'y essayer en cour.

C'est donc un outil complémentaire fort intéressant, un contrepoids juridique très valable que le recours collectif.

Mais en même temps, les règles du recours ont ici permis aux banques de s'en tirer pour des dizaines de millions de dollars en évitant le procès sur les cartes de débit, recours maintenant impossible.

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On critique évidemment les avocats spécialisés dans le domaine, vu que bien souvent, ils sont les premiers, parfois les seuls bénéficiaires directs des recours collectifs. Parfois, le juge condamnera une société à payer des centaines de milliers de dollars, représentant des pertes de quelques dollars par personne. Ces gens-là ne verront pas la couleur de ces dollars - pas directement, du moins. Les avocats, eux, seront payés, et très bien.

C'est exact, mais en même temps, ces bureaux spécialisés «investissent» dans des recours collectifs des sommes colossales, quitte à n'être payés que des années plus tard - s'ils l'emportent.

On peut arguer que leur pratique, critiquable à bien des égards, est un outil de régulation sociale très pertinent. Quand les organismes gouvernementaux ne peuvent pas ou ne veulent pas faire leur travail, une simple initiative individuelle peut redresser des torts collectifs et «punir» les abus - que la démarche soit inspirée par l'appât du gain ne change rien au résultat.

Cette procédure, vieille de 31 ans au Québec, n'est toutefois pas sans faiblesses, on vient d'en avoir un exemple.

Guy Lafleur

Simple note technique: Guy Lafleur n'était pas admissible à une absolution, impossible pour la catégorie de crimes où le maximum prévu est de 14 ans (comme le témoignage contradictoire). Il a donc obtenu avec un sursis de peine à peu près la peine la plus clémente possible dans les circonstances (plus une amende de 10 000 $).

Un sursis de peine, ou «sentence suspendue», c'est l'absence de peine, tant que le condamné se comporte bien pour une période donnée (ici un an). S'il ne garde pas la paix, on peut théoriquement lui infliger une peine. Mais retenons surtout que c'est l'absence de peine.

Ce n'est pas la même chose qu'une peine de prison «avec sursis», comme la réclamait la Couronne. L'emprisonnement avec sursis est une peine purgée «dans la collectivité» (généralement avec couvre-feu et autres restrictions). Il est infligé dans les cas qui justifieraient la prison, comme mesure alternative. Donc des cas plus sérieux. Si le contrevenant manque à ses conditions, il peut terminer sa peine dans une vraie prison. Ce n'est pas le cas de Guy Lafleur.