C'est moins le témoignage de Brian Mulroney qu'une sorte de causerie au coin du feu.

L'ancien premier ministre raconte plus qu'il ne dépose. Le propos est émaillé d'anecdotes plaisantes, de blagues d'autodérision suivies de vantardise contenue sur fond d'exploits internationaux...

On jurerait que Brian Mulroney a repris la tournée de promotion de ses Mémoires, brutalement interrompue par cette malheureuse affaire.

 

Quelle affaire, déjà? Ah oui ! cette crapule allemande qui jouait les hommes d'affaires. Les dollars dans des enveloppes, les chambres d'hôtel. Oui.

Mais rapidement, M. Mulroney balaie cette mouche et reprend le récit de ses aventures.

Un long plaidoyer pro domo, comme il se doit. Il n'est pas tant destiné à séduire le commissaire qu'à re-sculpter sa propre statue dans l'histoire canadienne. Laissez-moi vous dire qui est Brian Mulroney, sa vie, son oeuvre. Ne me réduisez pas à ces misérables transactions... Ce n'est pas moi, ça!

Il nous a expliqué comment fonctionne l'ONU, il nous a dit qu'il a été un des trois hommes politiques étrangers remerciés officiellement par le chancelier allemand Helmut Kohl après la réunification, il nous a raconté des anecdotes (Brian Mulroney adore les anecdotes) sur Pierre Trudeau, sur sa femme Mila, sur des grands de ce monde, il a blagué...

Mais il a très peu parlé de l'affaire. Quelle affaire, déjà? Ahoui ! pardon, les enveloppes, cet Allemand, oui, bien sûr. Quand il l'a connu, il n'était pas un fugitif de la justice allemande, mais un homme d'affaires avec un projet potentiellement créateur d'emplois pour la Nouvelle-Écosse: une usine de chars légers. Il cherchait l'appui des gouvernements, rien de mal à ça.

Comme il n'y avait rien de mal à recevoir de l'argent de lui, une fois qu'il avait quitté le poste de premier ministre.

Si seulement il avait exigé des chèques, nous n'en serions pas là.

À cause de cette erreur, il le concède, «des gens raisonnables peuvent entretenir des soupçons légitimes» sur la nature de cette transaction: trois versements de 75 000$ en espèces (Karlheinz Schreiber dit 300 000$ en versements de 100 000$).

Erreur grave mais essentiellement technique, nous dit-il en somme. Car rien d'illégal ou d'incorrect n'a été commis. Même Schreiber ne prétend pas qu'il s'agissait de pots-de-vin. Seulement des avances pour faire avancer le projet d'usine de chars - lui dit au Canada, Mulroney dit à l'international.

Oui, mais pourquoi alors cet entêtement à cacher les transactions, qui remontent à 1993 et 1994, a demandé son avocat, Guy Pratte.

Parce qu'il était encore sonné par les allégations concernant l'affaire Airbus. En 1995, le gouvernement canadien alléguait dans une lettre confidentielle aux autorités suisses que M. Mulroney avait empoché des pots-de-vin sur la vente d'avions à Air Canada, en 1988. M. Mulroney, informé de la requête policière, avait poursuivi le gouvernement, qui s'était excusé et avait payé ses frais en 1997. La GRC a par la suite dit que l'enquête était terminée et que M. Mulroney n'était pas en cause. Mais sa famille et lui sont «marqués pour la vie», a-t-il dit, et on n'a pas de peine à le croire.

Alors, admettre cette transaction privée risquait de soulever de nouveaux doutes et il ne voulait pas.

L'explication est peu crédible, car M. Mulroney ne l'a pas cachée seulement au public. Il ne l'a déclarée à l'impôt que cinq ans après le fait, quand les enquêtes journalistiques risquaient de la faire éclater au grand jour.

Il nous reste aussi à obtenir des explications crédibles sur le fait qu'en 1996, interrogé sous serment dans le cadre de sa poursuite contre le gouvernement, il a dit n'avoir jamais eu affaire avec Schreiber. On sait que ce n'est pas vrai.

Pour l'essentiel, le témoignage est identique à celui livré au comité des Communes en 2008. En plus personnel et en plus facile encore.

Pourquoi? Parce que M. Mulroney a demandé et obtenu d'être d'abord interrogé par son propre avocat. C'est une option ouverte à tous dans les règles de la commission et si personne ne l'a demandé, personne ne s'est opposé à la demande de M. Mulroney.

L'avantage de cette stratégie est qu'elle permet à M. Mulroney de camper le décor. Le contexte, comme il dit. De s'installer confortablement dans un film dont il est le héros et le réalisateur. C'est mieux que de commencer sur la défensive, comme une sorte d'accusé qu'il est sans le titre. Car au fond, c'est le sujet de cette commission: sa moralité.

Sans compter que cette commission n'intéresse guère les Canadiens, avec ses références répétitives à des hommes morts et des vieux débats d'un autre millénaire. Deux jours d'interrogatoire ronflant, ponctués de quelques protestations, auront réussi à désintéresser ceux qui n'ont pas changé de poste.

Quand la vraie partie commencera, les gradins seront dégarnis.

Je suis surpris, donc, que le procureur de la commission, Richard Wolson, ne se soit pas opposé à cette demande. Mais comme les règles le permettent, un débat oiseux aurait pu s'ensuivre. Les procureurs tentent généralement, avec raison, d'éviter tout débat qui risquerait de faire dérailler leur commission. Sur le fond, ça ne changera rien, les vraies questions vont venir à la fin de la semaine.

On a vu de quoi est capable le procureur Wolson avec Schreiber.

La causerie tire à sa fin. Sur le fond, cependant, rien n'indique que cette commission découvrira quoi que ce soit d'important qu'on ne savait déjà avant le début.

Mais comme aimait à le dire M. Mulroney, c'est à la fin de la veillée qu'on voit les meilleurs danseurs. Il se fait tard, justement.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca