C'est un peu un désastre humain, cette affaire. Et on ne pourra pas revenir en arrière.

Mais au hockey comme dans la justice, ça va toujours mieux avec un bon plan de match.

Et je n'ai pas trop compris le plan de match de l'avocat de Guy Lafleur, Jean-Pierre Rancourt.

L'affaire est simple. Le fils de Guy Lafleur, qui souffre du syndrome de Gilles de la Tourette, a de sérieux ennuis avec la justice. Il est accusé en 2007 de divers crimes, dont des voies de fait et une agression sexuelle sur la personne de son ex-copine (il s'est avoué coupable des voies de fait et a été acquitté de l'agression sexuelle).

 

Le jeune homme est remis en liberté et doit suivre une thérapie, mais ne respecte pas ses conditions. Pour qu'il demeure en liberté, Guy Lafleur s'engage à l'accueillir chez lui les fins de semaine. Or, dans un témoignage sous serment pour convaincre la cour que tout va bien, Guy Lafleur déclare que son fils a couché chez lui. On découvre plus tard qu'il a couché à l'hôtel deux fois.

La preuve est implacable et on décide d'accuser Guy Lafleur de témoignage contradictoire. On en met: on fait lancer un mandat d'arrêt, ce qui est totalement injustifié. Guy Lafleur a dû se livrer à la police comme un dangereux criminel recherché.

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À partir de ce moment-là, l'avocat de Guy Lafleur part en guerre totale contre la poursuite. Me Rancourt multiplie les entrevues incendiaires dans les médias, il est de toutes les tribunes, c'est un scandale, etc.

Mieux: il intente une poursuite de 3,5 millions contre le Ministère public pour arrestation abusive. Je l'ai dit: la Couronne a chargé inutilement. Mais Guy Lafleur n'a tout de même pas passé la nuit en prison. Les gens injustement condamnés pour meurtre n'obtiennent pas tous cette somme...

Ce n'est pas tout. Guy Lafleur a tenté d'obtenir l'arrêt du processus judiciaire pour cause de violation de ses droits fondamentaux - à cause du mandat d'arrêt, qui était contraire aux directives du Ministère public.

Ça n'a pas fonctionné. Il en faut pas mal plus pour obtenir ce genre de décision. On peut se demander ce que vaut la poursuite civile maintenant qu'un juge a estimé que la violation de ses droits était minime.

Mais le problème est ailleurs: comment pensez-vous négocier avec la Couronne quand vous lui avez signifié une poursuite civile de 3,5 millions qui l'accuse de tous les péchés?

C'est comme remonter dans une série en tirant de l'arrière 0-3. Ça se peut. Mais disons que c'est malaisé.

Car avec une preuve matérielle (facture d'hôtel du fils) et un témoignage clairement contradictoire, un procès n'est pas une option très alléchante. Mieux vaut négocier, que ce soit dans le cadre du dossier du fils, une accusation réduite permettant une absolution ou un retrait d'accusation.

C'est sûrement la meilleure option que pouvait espérer Guy Lafleur, car l'acquittement était assez difficile à obtenir, sauf peut-être un acquittement de sympathie.

Mais veut-on d'une justice qui traite mieux les vedettes sympathiques?

Facile à dire, je sais. Il faut être deux pour négocier, certes. Et les parties étaient manifestement braquées. Mon hypothèse est que 1) la Couronne a été inutilement vindicative; 2) la défense s'y est mal prise pour sauver la mise.

À partir de là, ne restait que le procès.

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Le juge Claude Parent n'a pas eu de doute raisonnable. On aurait bien aimé ce doute, n'est-ce pas? Mais il n'aurait pas été raisonnable, apparemment.

Tout reposait sur l'évaluation de la crédibilité. Les explications du champion n'ont pas tenu.

C'est le genre de chose dont la Cour d'appel ne se mêle pas, sauf grossière erreur, car le premier juge a l'avantage de voir et d'entendre directement les témoins. Tout semble irréparable, donc.

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Et maintenant? Guy Lafleur n'est pas passible de 14 ans de pénitencier, oubliez ça. C'est le maximum prévu par le Code criminel. Il n'ira pas en prison, même pas une journée. Peut-être une amende, peut-être un sursis.

Malheureusement, il n'est pas admissible à une absolution, vu le maximum prévu pour cette infraction. Donc, il aura un casier judiciaire avec tous les emmerdements qui en découlent.

Moi aussi, je trouve le résultat injuste dans le grand ordre cosmique des choses. Des criminels s'en tirent, des menteurs par centaines sortent de nos palais de justice en riant. Pourquoi a-t-il fallu que ça tombe sur un homme aimable et sympathique? C'est intéressant, mais c'est de la métaphysique. C'est comme demander au policier: pourquoi vous m'arrêtez alors que lui roulait plus vite? En plus, je suis sympathique par moments.

C'est comme ça. Un mensonge bien intentionné par le meilleur gars au monde, sous serment, devient un témoignage contradictoire. Ne demandez pas à la justice de dire que ce n'est pas sérieux.

Un mensonge mal couvert, puis la grande roue judiciaire qui se met à tourner, tourner, et tout ce qui doit aller mal va mal.

Mais Guy, oh! Guy Lafleur, mon idole de jeunesse, autant j'ai trouvé la poursuite dure, autant je ne suis pas bien sûr que vous ayez été bien conseillé.

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