Même à la Ville de Montréal, un être humain est présumé vouloir la conséquence normale de ses actes.

Quand on crée une structure à magouilles, c'est normalement parce qu'on voulait des magouilles. Ou qu'on était trop incompétent pour s'en rendre compte.

Comment, donc, croire que ce qui est arrivé à la Ville de Montréal n'est qu'un malencontreux accident?

C'était un projet. Des gens ont voulu soustraire l'organisme qui gère les terrains de la Ville de Montréal de la surveillance des élus et du public. Ils en ont fait un organisme privé, la SHDM.

 

Pour quoi faire, pensez-vous? Le vérificateur de la Ville a découvert des tours de passe-passe de terrains tellement bizarres qu'il en appelle à la police.

On connaît la prudence des vérificateurs généraux. Ils côtoient la mauvaise gestion, ils en vivent, pour ainsi dire. Leurs archives sont des monuments à la «moronnerie» administrative. Ils ne passent pas leur temps à appeler les gendarmes. Un simple gaspillage, même gros, n'est pas un crime.

Pour que le vérificateur Michel Doyon demande le déclenchement d'une enquête policière, il fallait qu'il ait des motifs sérieux. Il en a. Appels d'offres faits à la va-vite ou pas faits du tout, informations cachées aux élus, terrains vendus sous le juste prix du marché...

Et tout ceci, comme par hasard, dans un organisme qui a tenté d'écarter le vérificateur général de la Ville. Et pourquoi donc, d'après vous?

L'ex-directeur de la SHDM, Martial Fillion, fait l'objet d'une enquête. C'est lui qui a fait les transactions controversées.

Mais que dire des architectes de ce machin opaque?

Je me souviens de l'avocat Robert Cassius de Linval, directeur des affaires corporatives de la Ville, qui prétendait que tout était merveilleusement légal, l'automne dernier, quand on a commencé à mettre en lumière les bizarreries du projet Contrecoeur. Et le maire Tremblay de boire ses paroles. Légale, légale, légale, l'affaire.

Pourtant, le propre contentieux de la Ville les avait avertis: oh là, les amis, arrêtez vos folies, on n'a pas le droit d'envoyer dans le privé une société paramunicipale (qui gère pour des millions en immeubles et terrains) sans la permission de Québec.

Pas grave! Me Cassius de Linval était allé chercher une contre-opinion du professeur de droit municipal Jean Hétu. Celui-ci en est venu à la conclusion épatante qu'il y avait un trou dans la Charte de la Ville de Montréal et que cette société paramunicipale... n'en était pas une. Donc pas besoin de demander à Québec.

Pourquoi cette insistance à ne pas demander à Québec, au fait, si ce projet de privatisation est impeccable? Simple souci d'efficacité, voyons. Peur des délais bureaucratiques.

Ce ne sera pas la première fois qu'une ville contourne ses propres avocats en demandant un avis juridique extérieur plus enthousiaste à sa vision. Elle peut ensuite plaider la bonne foi juridique. Entre deux opinions, elle a pris celle qui faisait son affaire. Qu'y a-t-il de mal là-dedans?

Il y a que le projet, au départ, était insensé. On n'envoie pas en orbite un organisme qui gère des propriétés de première importance pour le développement de la Ville. Une ville qui se respecte veut planifier son développement intelligemment, pas le laisser à des affairistes dans une société privée vaguement rattachée à la ville.

Et ça, tant Robert Cassius de Linval que Gérald Tremblay auraient dû le voir, en dehors de toute espèce de malversation. C'était stupide dès le premier jour.

Et voilà qu'on découvre que, dès le départ, les gestes douteux ont commencé. Bien entendu, ces choses-là peuvent arriver dans un organisme gouvernemental.

Sauf qu'on constate ici une troublante coïncidence, comme une relation de cause à effet: la SHDM s'éloigne du contrôle des élus et, tiens donc, des choses étranges arrivent.

C'est pour ça que je dis que cela ressemble bien davantage à un projet bien orchestré qu'à un accident de parcours, un dérapage.

Et tout près du maire, il y a des gens qui sont responsables de cela. Ils n'ont peut-être rien à voir avec les histoires qui sont survenues à la SHDM. Mais ils ont déployé leur énergie à la créer telle qu'elle est devenue. Ils ont rendu tout ceci possible. Ils ont été prévenus. Ils auraient dû s'en douter.

C'est pourquoi cette administration est discréditée. On ne sait plus qui sont les manipulateurs et qui sont les manipulés.

Ils n'ont même pas vu cet immense tas de merde d'éléphant au milieu de l'hôtel de ville.

Gérald Tremblay ne savait rien? Maintenant il sait. Mais sait-il qui sont ceux qui lui riaient dans le dos, trop contents qu'il ne voie jamais rien?

Vivement les élections, dites-vous? Vivement la police, je dis. On en est là.

Vivement une escouade policière anticorruption. Y aura-t-il des budgets pour ça?

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