Même à deuxième vue, une peine avec sursis pour un homme qui a défiguré et handicapé une femme, c'est un non-sens.

Mais c'est un non-sens qui s'explique largement par la gestion chaotique de ce dossier par l'avocat de la poursuite.

Considérez un peu la séquence des événements. Le 13 septembre 2005, il est 19h et une femme de 55 ans s'en va prendre le métro pour aller manger chez des amis. Station Snowdon, un inconnu, Peter Niedzielski, ivre et gelé, lui saute dessus. L'homme de 27 ans projette la femme sur un mur de béton. Il lui fracasse le crâne. Elle fait un arrêt cardiaque, passe deux mois dans le coma et est maintenant défigurée. Elle a un oeil plus haut que l'autre, a des difficultés d'élocution, marche péniblement et demeure traumatisée, on s'en doute.

 

Trois passants ont voulu l'arrêter, il les a frappés également.

Niedzielski est arrêté le soir même. Il comparaît le lendemain. On lui refuse une libération sous caution.

On est donc le 14 septembre 2005 et l'homme est trop dangereux pour être mis en liberté. Trois longues années et demie plus tard, on lui inflige une peine de prison avec sursis. Que s'est-il passé?

Il s'est passé que l'avocat de la poursuite, Louis Miville-Deschênes, a joué à la Couronne avec sa main droite et au travailleur social avec la main gauche. Voici comment.

Six mois après son arrestation, Niedzielski est toujours détenu en attente de son procès. Mais Me Miville-Deschênes accepte, à la suggestion de la défense, qu'il soit libéré pour aller suivre une thérapie. On est en mars 2006. La thérapie va assez bien. On décide de laisser aller avant de faire le procès. Les mois passent. On demande une évaluation psychologique, en septembre 2007, dont le résultat n'est pas fameux. On laisse courir encore pour voir comment les choses évoluent. En décembre 2007, on décide de repousser encore la cause, car M. Niedzielski est inscrit à une clinique de gestion de la colère et est retourné à l'école.

Nous voici en avril 2008. Niedzielski s'avoue coupable de voies de fait graves aux dépens de la dame qu'il a sauvagement agressée, mais également de voies de fait aux dépens des deux citoyens et d'agression sexuelle contre la femme venue leur porter secours (il lui a fait des attouchements).

Et là, l'avocat Miville-Deschênes accepte que la juge ne prononce la sentence que pour les agressions mineures, réservant sa sentence plus grave pour une date indéterminée. Il ne s'en explique pas.

La juge Isabelle Rheault se rend donc à la suggestion des avocats et inflige une peine avec sursis pour les trois accusations moins graves, même si le rapport psychologique n'est pas très encourageant: il s'est nettement repris en main depuis. On imagine que la Couronne veut encore voir comment les choses évoluent avant de décider du dossier principal.

Une autre année passe, après de multiples remises. Nous voici en avril 2009. Clairement, Niedzielski, par calcul ou par conviction ou les deux, a changé. Il a deux boulots, a cessé de consommer, étudie, suit des séances de thérapie...

L'heure est donc venue de lui infliger une peine pour ce crime absurde et le portrait ne pourrait être meilleur pour l'accusé, qui n'est plus le même homme. Que fait la Couronne, qui a passé trois ans et demi à voir comment il évolue? Elle demande cinq ans de pénitencier.

Remarquez bien, cinq ans pour des gestes d'une telle violence, c'est tout à fait dans les normes.

Mais c'est demandé par le même avocat qui a 1) accepté la mise en liberté; 2) plaidé pour un sursis en 2008 malgré un assez mauvais rapport psychologique; 3) accepté de remettre et remettre et remettre encore la cause pour voir évoluer le sujet.

La voilà, l'origine du non-sens. L'avocat Louis Miville-Deschênes a été d'une incroyable patience, il a laissé toutes les chances à cet homme... Et cet homme lui a donné raison, d'une certaine manière, puisqu'il semble sur le «droit chemin», comme ils disent.

Et au bout de cet exercice extraordinaire (tous n'ont pas cette deuxième chance), que dit l'avocat de la poursuite? Peu importe tout ceci, on réclame une peine de pénitencier de cinq ans. On comprend la juge Rheault d'être perplexe.

Cela dit, la sentence, que j'ai écoutée hier (on n'a pas eu droit à un jugement écrit, comme trop souvent), souffre d'un grand vice. Elle est fondée à peu près uniquement sur la réhabilitation apparemment réussie de l'accusé. Elle ne tient pas compte suffisamment de la gravité du geste, désormais très lointain, difficile à apercevoir dans une montagne de thérapies et de bonnes intentions. Même si on a le portrait des séquelles pour la victime.

Non pas qu'il faille venger l'infraction. Il faut cependant que la sentence reflète la gravité du crime. Une sentence est aussi une dénonciation et, oui, une punition. C'est là qu'il y a un déséquilibre.

Mais la poursuite a travaillé fort pour en arriver là. Cette cause est à elle seule un petit manuel sur l'art, pour un procureur, de se tirer dans le pied.

Si Me Miville-Deschênes va se plaindre à la Cour d'appel de la clémence du tribunal, avant de lui donner raison, on lui demandera sûrement à quoi il voulait en venir.

Et je ne suis pas bien sûr qu'il le sache.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca