Je n'ai jamais compris pourquoi les défenseurs des droits des sidéens plaident pour le droit d'infecter en silence.

Ce n'est pas comme ça qu'ils le formulent. Mais chaque fois qu'une personne infectée a des démêlés avec la justice criminelle, ils nous ressortent le même argument: on va nuire au dépistage!

 

Dernier exemple connu, la condamnation pour meurtre au premier degré, samedi, de Johnson Aziga, un homme de 52 ans à Hamilton.

C'est de mauvaise politique de santé publique que de «pénaliser» la transmission, dit par exemple Alison Symington, du réseau juridique VIH-sida. Propos semblables de l'avocat de la défense et de plusieurs militants, à Montréal comme à Toronto. Mark Wainberg, directeur du centre sur le sida McGill de l'Hôpital juif, sans défendre l'accusé, estime qu'on devrait changer de cap juridique et ne plus permettre ce type de condamnation criminelle.

Les gens, disent-ils, hésiteront à se faire dépister, pour demeurer dans l'ignorance.

C'est donc dire que des gens préféreraient risquer la mort pour conserver le droit de baiser sans condom. Faut-il protéger juridiquement ces gens, qui risquent simplement d'augmenter le nombre de victimes?

En général, qu'est-ce qui pousse les gens à se faire tester? La peur d'être malade et la volonté de se faire traiter si c'est le cas, n'est-ce pas? C'est pour eux qu'ils le font, pour ne pas mourir. Si une personne à risque décide de ne pas se faire tester, ce n'est pas une protection contre les poursuites pénales qui l'en convaincra. Après cela, une fois bien dépistée et testée positive, cette personne aura-t-elle une immunité criminelle à vie?

C'est absurde. Comme il est criminellement irresponsable de dire aux personnes atteintes de cacher leur infection du moment qu'elles utilisent un condom, ainsi que le recommandent des groupes. Qui veut courir ce risque?

Cela dit, l'affaire Aziga est une première. Meurtre prémédité, c'est évidemment très fort. Mais il faut en revenir aux faits.

D'abord, il est décidé depuis longtemps qu'une personne qui est infectée, qui le sait, qui a une relation non protégée et qui ne le dit pas à son partenaire entraîne sa responsabilité criminelle. C'est une agression sexuelle, car le consentement est faussé. C'est en plus une agression sexuelle «grave» car elle met en danger la vie, dans le cas du VIH.

Si l'infection entraîne éventuellement la mort, cela peut devenir un meurtre.

Aziga se savait infecté depuis 1996. Deux fois, il a reçu une ordonnance lui interdisant d'avoir des relations sexuelles non protégées à moins d'informer sa partenaire ET de se protéger. Il n'en a pas tenu compte.

Il a eu des relations sexuelles avec au moins 11 femmes après cela. Il en a infecté sept, dont deux sont mortes. La souche du VIH était une souche africaine rare et l'accusé était d'origine ougandaise, porteur de cette souche. Mais même dans les cas où il n'y a pas eu d'infection, il s'agissait d'agression sexuelle grave: pas de consentement et mise en danger de la vie.

Il y a donc eu deux morts. Qu'est-ce qu'un meurtre? C'est un acte illégal qui entraîne la mort. Il faut avoir l'intention de causer la mort OU simplement l'intention de causer des lésions corporelles qu'on sait être de nature à entraîner la mort, mais sans se soucier que la victime meure ou non.

Difficile de ne pas voir que c'était le cas pour Aziga, dûment averti.

Pourquoi meurtre au premier degré (le plus grave) Pas nécessairement parce qu'il était prémédité. Plusieurs meurtres sont assimilés à un meurtre au premier degré dans le Code criminel, même s'ils ne sont pas prémédités: meurtre d'un policier, d'un gardien de prison, pendant un enlèvement, pendant un détournement d'avion, etc. Et le meurtre commis à l'occasion d'une agression sexuelle.

Sans doute la Cour d'appel de l'Ontario, puis la Cour suprême, nous diront-elles si la mort des victimes est survenue «en commettant» l'agression sexuelle, puisqu'elle est arrivée des années plus tard.

Mais mettre en danger la vie volontairement doit rester un crime, y compris un meurtre en cas de mort. Quel que soit l'état de santé de l'accusé.

Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca