Brian Mulroney est resté le même, pugnace et résolu. Mais ceux qui le connaissent nous le disent : les coups de Karlheinz Schreiber ont porté, et l'ancien premier ministre apparaît diminué.

Pour cause: Brian Mulroney, qui a eu 70 ans la semaine dernière, joue ce printemps non pas son avenir, mais son passé.

Pas tant sa place dans l'histoire puisque, dans 50 ans, on aura oublié ses misérables tractations avec l'homme d'affaires allemand, comme on a largement oublié le scandale de corruption qui avait coulé le gouvernement de son idole, Sir John A. Macdonald.

Resteront dans les livres d'histoire les moments marquants de sa gouvernance: le lac Meech, le libre-échange, la réforme de la taxation, son approche des relations internationales et le reste.

Non, c'est plutôt sa réputation pour le reste de ses jours qui est en jeu ici. Ce passé qu'il a tenté d'enterrer et qui le hante bruyamment depuis 1995, quelle image lui donnera-t-il pour le temps qu'il lui reste?

Celle d'un homme imprudent (au mieux) ou celle d'un politicien qui a violé les règles d'éthique les plus élémentaires, sinon d'un politicien corrompu?

Voilà le sujet le plus évident de la commission présidée par le juge manitobain Jeffrey Oliphant, qui entendra ce matin son premier témoin dans cette enquête «concernant les allégations au sujet des transactions financières et commerciales entre Karlheinz Schreiber et le très honorable Brian Mulroney».

L'autre sujet, en sourdine, est celui des relations entre le gouvernement et les entreprises avec lesquelles il fait affaire à travers des lobbyistes et des financiers de tout acabit.

Brian Mulroney reconnaît avoir reçu 225 000$ en trois versements de Karlheinz Schreiber, en 1993 (quand il n'était plus premier ministre mais encore député) et en 1994. Schreiber avait été démarcheur pour Airbus, qui a vendu 34 avions à Air Canada pour 1,8 milliard de dollars en 1988. Il a été allégué par le passé que cet argent était un pot-de-vin puisque Schreiber était chargé de distribuer des « commissions » à divers intermédiaires. Mais l'enquête approfondie de la GRC n'a rien prouvé à ce sujet, et tant Schreiber que Mulroney disent que ces versements n'étaient pas liés à Airbus.

Sauf que les versions des deux hommes, au fil des ans, ont varié. Pourquoi donc verser en comptant des sommes pareilles? Travail de représentation à l'étranger, dit M. Mulroney. Il avait été question d'une usine de pâtes. Et d'autres choses encore. Schreiber lui-même est énigmatique. Et il promet encore quelques pétards.

Autre question plus terre-à-terre : est-ce bien 225 000$, ou plutôt 300 000$, comme le dit Schreiber? Même l'ex-porte-parole de M. Mulroney parlait de 300 000$. Pourquoi, quand il a témoigné en commission parlementaire, en 2007, M. Mulroney aurait-il changé ce montant? Étrange.

On ne répondra à aucune de ces questions cette semaine. Les témoins principaux ne sont attendus que dans la semaine du 14 avril.

Aujourd'hui, comme premier témoin, on aura droit à un ancien ministre conservateur, William McKnight. Il était ministre de la Défense au moment où il a été question d'implanter une usine de chars légers de Thyssen en Nouvelle-Écosse. Schreiber faisait aussi des démarches pour Thyssen.

On ignore ce que M. McKnight dira et la raison pour laquelle il est le premier témoin (normalement, un procureur veut commencer fort et finir fort...).

Le deuxième sera un ancien ministre libéral au temps de Pierre Elliott Trudeau, Marc Lalonde, qui a été également avocat de Schreiber. Le troisième sera Élizabeth Moores, la veuve de l'ancien premier ministre de Terre-Neuve, Frank Moores, proche de Brian Mulroney, qui a travaillé comme lobbyiste à Ottawa à l'époque de la transaction Air Canada-Airbus. Le quatrième et dernier témoin, mardi, sera un ancien chef de cabinet de M. Mulroney, Derek Burney. Les audiences seront alors reportées à la mi-avril.

Le juge Oliphant, qui rendra son rapport à la fin de l'année, a répété la semaine dernière à l'avocat de M. Mulroney qu'il n'était pas question de tirer des conclusions de responsabilité civile ou criminelle contre quiconque. Il s'agit d'abord d'exposer les faits et, ensuite, de dire si l'ancien premier ministre du Canada a enfreint les règles d'éthique de son propre gouvernement. Cela n'exclut évidemment pas la faculté de blâmer.

En attendant les conclusions du juge, Brian Mulroney est encore persona non grata dans son propre parti : Stephen Harper, qui a commandé cette commission, a donné l'ordre à ses élus de ne pas être en contact avec lui.

Le rapport Oliphant décidera du stigmate qu'il devra porter, et s'il restera un banni chez les conservateurs.