La règle est aussi ancienne que les procès devant jury: les 12 jurés ne doivent fonder leur verdict que sur la preuve présentée devant eux et doivent tenir leurs délibérations secrètes.

Mais maintenant qu'on peut glisser l'internet dans sa veste, que valent les antiques directives des juges?

 

Le New York Times a rapporté la semaine dernière qu'un procès avait avorté en Floride quand le juge a découvert que les jurés s'étaient lancés dans toutes sortes de recherches sur l'internet au sujet de l'accusé, des avocats, des faits de la cause et des aspects techniques de l'affaire.

Une jurée avait alerté le juge quand elle avait constaté qu'un juré avait trouvé certains faits, y compris des faits exclus de la preuve. Le juge pensait simplement congédier le juré en question... mais il a réalisé que huit autres jurés avaient fait leur petite enquête également. Le procès a avorté. Les jurés se dirigeaient vers un acquittement, apparemment.

Lundi dernier, à Philadelphie, lors du procès pour corruption d'un ex-politicien de Pennsylvanie, Vincent J. Fumo, ses avocats ont demandé l'avortement du procès quand ils ont réalisé qu'un juré envoyait des nouvelles régulièrement sur Twitter et Facebook. «Il y a une grosse nouvelle qui s'en vient!», annonçait par exemple le juré. Cette fois, le juge a refusé l'avortement. Fumo a été déclaré coupable et ses avocats ont annoncé que la diffusion de commentaires par un membre du jury serait un motif d'appel.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

On n'a pas encore signalé de cas semblable ici, mais ce n'est qu'une question de temps. Déjà, des juges québécois envisagent de faire saisir téléphones, iPhone, BlackBerry et le reste au début des délibérations, quand le jury est séquestré et coupé du monde extérieur pour rendre sa décision.

Mais avant la séquestration? Pendant le procès, sauf cas rarissimes, les jurés retournent chez eux chaque soir. Ils n'ont plus à se rendre à la bibliothèque municipale pour faire des recherches. Tout est à un clic de distance.

Comme la plupart des cas ne sont pas médiatisés, dans la plupart des procès devant jury, on ne trouverait aucune information sur l'internet concernant l'accusé. Mais rien n'empêche de faire des recherches sur l'identification par ADN, les autopsies ou tout autre sujet technique qui ne manque pas de surgir dans un procès.

Cela soulève deux problèmes. D'abord, l'information dans un procès est soumise à un système contradictoire de vérification: la défense et la poursuite testent chacune ce que l'autre avance. L'information glanée par un juré n'est ni filtrée, ni remise en question.

L'autre problème est celui du secret. Certains faits précis sont considérés comme toxiques et exclus du débat judiciaire parce que trop préjudiciables. Par exemple, le passé criminel de l'accusé. Ce n'est pas l'individu qu'on juge, c'est un crime ou une série de crimes précis. Un juré qui arriverait aux délibérations en sachant que l'accusé a été condamné deux fois pour agression sexuelle pourrait influencer les 11 autres.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

Comment gérer le secret? C'est tout simplement impossible, à moins de séquestrer les 12 citoyens pendant toute la durée du procès, ce qui est impraticable vu la durée moyenne sans cesse plus longue des procès devant jury.

Au début de chaque procès, les juges répètent la même directive: vous n'êtes pas des avocats ni des enquêteurs: ne vous lancez pas dans des recherches, évitez les discussions sur la cause, n'exprimez pas votre opinion en public, gardez l'esprit ouvert...

Les nouvelles technologies poussent exactement dans le sens contraire: soyez curieux, trouvez réponse instantanément à toutes vos questions, exprimez-vous le plus vite et le plus souvent possible, dites ce que vous pensez, là, tout de suite...

Toutes choses qui vont à l'encontre du juré modèle imaginaire.

La solution? On n'ira ni contre les nouvelles technologies, ni contre la curiosité humaine. Au mois de janvier, lors du procès du Hells Paul Fontaine, un juré a grimpé sur le pare-chocs d'un fourgon cellulaire, dans le sous-sol du palais de justice, pour voir si le témoignage du délateur était vraisemblable. On le lui a reproché, mais c'est le même mouvement qui pousse un autre juré à vérifier une information sur Google Map ou dans Wikipédia.

On est condamné à faire confiance à l'intelligence des jurés. Ce n'est pas pour rien qu'il y en a 12, au fait. De toute éternité, sans doute, il s'est trouvé au moins une personne dans chaque jury pour jouer les experts, parce que son beau-frère lui a expliqué ceci ou que lui-même a déjà vécu cela... Et parmi les 11 autres, quelqu'un pour lui rappeler qu'on doit juger sur la preuve entendue en cour.

C'est un acte de foi, bien entendu. Mais jusqu'ici, l'expérience montre que les jurés s'acquittent en moyenne avec honnêteté de leur tâche... même dans les cas d'intense bourdonnement ambiant.

Courriel Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca