Dans le tumulte qui a suivi la libération des cinq membres de gang de rue accusés de meurtre, lundi, plusieurs en ont profité pour dénoncer notre système judiciaire «trop favorable aux accusés».

Quand on trouve la justice canadienne trop molle et qu'on cherche une solution de rechange, on se tourne en général vers les États-Unis, réputés plus sévères.

 

Mieux vaut prévenir les amateurs de sévérité américaine. Mercredi, le plus haut tribunal américain s'est chargé de nuancer le cliché.

Les peines sont incomparablement plus sévères aux États-Unis, c'est vrai. Mais quand vient le temps de sanctionner les abus de la police ou de la poursuite lors d'un procès, la justice américaine est peut-être la plus intraitable. Et en cela, beaucoup plus favorable à l'accusé.

Le meilleur exemple est sans doute la règle draconienne sur l'exclusion de la preuve. Si la police obtient une preuve contre un accusé pendant une fouille illégale, le juge va carrément l'exclure. Cela a mené à des acquittements spectaculaires, y compris pour des crimes graves clairement commis par des accusés.

La règle existe ici aussi, mais elle est beaucoup plus souple. Tellement que l'été dernier, dans une série sur «l'exception américaine», le New York Times disait que les États-Unis sont «le seul pays au monde» à exclure la preuve automatiquement. On citait par contraste une cause ontarienne, où un automobiliste nommé Bradley Harrison avait été arrêté sans raison valable. La police avait trouvé 50 kg de cocaïne dans son coffre arrière. C'était une «violation flagrante» de ses droits, une fouille déraisonnable, avait dit le juge... mais la preuve n'avait pas été exclue et l'homme fut condamné à cinq ans de prison. Aux États-Unis, c'était l'acquittement à coup sûr.

La Cour d'appel ontarienne a confirmé ce jugement en 2008. Certes, le policier a mal agi. Mais «l'exclusion de 50 kg de cocaïne d'une valeur de plusieurs millions de dollars (...) causerait un plus grand tort à la réputation du système judiciaire», a écrit la Cour d'appel ontarienne.

L'exclusion d'une preuve n'est pas la même chose que la suspension complète du processus judiciaire, comme l'a décidé la juge Bourque lundi. Mais le résultat est souvent le même: la libération pure et simple d'un accusé, parfois un criminel notoire, pour dénoncer un abus de l'État.

Depuis longtemps, les Américains remettent en question cette philosophie judiciaire. Punir le policier ou le procureur fautif, d'accord, mais pourquoi en faire bénéficier l'accusé? Les partisans de cette stratégie répondent que c'est la seule manière de décourager et de dénoncer les conduites malhonnêtes des autorités et à long terme forcer l'État à agir avec compétence et intégrité.

Mercredi, ce débat s'est transporté à la Cour suprême américaine. Et à cinq contre quatre, les juges ont décidé d'assouplir la règle: il faut que le policier ait agi délibérément, pas qu'il ait commis une simple erreur technique, dit la majorité. Car si le but est de changer les comportements, rien ne sert de sanctionner les erreurs involontaires.

Dans cette affaire précise, un dénommé Herring avait été arrêté en Alabama sur la foi d'un mandat d'arrêt qui n'était plus en vigueur. Le système informatique n'était pas à jour et ne notait pas que le mandat avait été annulé. En fouillant dans la voiture, le policier a trouvé des méthamphétamines.

Le juge en chef John Roberts écrit que «l'effet dissuasif (de l'exclusion) doit être plus important que le dommage causé au système de justice» par la libération d'un coupable. Le prix à payer (la libération de coupables et parfois de personnes dangereuses) est tel qu'on ne peut pas appliquer la règle aveuglément.

Les quatre juges minoritaires ont déploré cet assouplissement, qui efface une ligne très claire, qui ouvre la porte à toutes sortes de compromis et risque d'entraîner les juges dans une sorte de complicité avec l'illégalité des autorités.

L'ère de l'exclusion automatique semble révolue dans la justice américaine. On note avec ironie que les conservateurs judiciaires s'inspirent en cela de la justice criminelle d'autres pays, notamment du Canada et de la Cour européenne des droits de l'homme, une chose qu'ils répugnent à faire généralement, surtout s'il est question de la peine de mort...

Mais au Canada non plus, le débat sur les conséquences à donner aux fautes de la poursuite n'est pas clos. Un cas aussi choquant que celui de lundi fait se reposer nécessairement la question: dans quel cas doit-on faire payer ce prix ultime à la société, soit celui de mettre en liberté des gens potentiellement coupables et dangereux? Seulement dans les cas «exceptionnels», «très rares», «les plus manifestes» d'abus de la poursuite, a écrit notre Cour suprême.

On peut donc penser à des actes d'entrave à la justice, de parjure, des gestes irréparables, impardonnables... Des actes criminels de l'État lui-même, au fond. Est-on devant ce genre de comportement ici? Ce n'est pas allégué par la juge.

Il ne sera donc pas inutile que la Cour d'appel revisite cette affaire (dont une partie est secrète) et les principes selon lesquels on devrait accepter de payer ce prix.

Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca