Curieux, cette inquiétude de bonzes fédéralistes autour d'une possible coalition soutenue par le Bloc québécois. Il me semble que le Bloc prend un risque encore plus considérable.

Non, mais à quoi pense Gilles Duceppe? La semaine où il aura contribué à congédier Stephen Harper, sa popularité va probablement être en hausse au Québec.

 

Mais après? Ce peut être très long, un an et demi de soutien d'un gouvernement fédéral mené par Stéphane Dion et un autre libéral.

Robert Bourassa avait coutume de dire que Jacques Parizeau est supérieurement intelligent, mais qu'il a un piètre jugement politique.

Sa sortie enthousiaste et sans nuances en faveur du renversement du gouvernement Harper et de son remplacement par une coalition menée par Stéphane Dion nous en fournit un nouvel exemple.

À court terme, certes, «foutre le bordel» au Parlement est fort distrayant d'un point de vue souverainiste. Et tout ce qui peut rendre le fédéralisme dysfonctionnel est apparemment «payant» pour la Cause.

Mais a-t-on lu comme il faut cette entente qui lie les libéraux, le NPD et le Bloc?

«Le Bloc québécois ne présentera pas, ni n'appuiera de motion de non-confiance envers le gouvernement pendant sa période d'appui à cette entente. Il votera en faveur de la position du gouvernement (...).»

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Pour le Bloc, cette entente dure jusqu'en juin 2010. Il n'y aura pas que le sauvetage de l'économie à l'agenda politique, pendant cette année et demie. Il y aura la myriade des contentieux Québec-Ottawa, sur toutes espèces de sujets, de l'environnement à la fiscalité en passant par les pêcheries et les infrastructures, sans oublier le 375e anniversaire de Trois-Rivières.

Y a-t-il jamais eu, dans les relations Québec-Ottawa, une année sans récrimination, querelle, gros mots ou crise de compétence?

Pas qu'on se souvienne, n'est-ce pas?

Imaginons que Jean Charest soit reporté au pouvoir et que la coalition réussisse à prendre le pouvoir sans élections. Le vis-à-vis du premier ministre du Québec sera Stéphane Dion.

Imaginons que Jean Charest prenne goût à jouer les Robert Bourassa et que d'un simple slogan ressorti du musée bourassien, il fasse de la «souveraineté culturelle» une revendication formelle.

Vous n'imaginez sûrement pas que Stéphane Dion s'empressera d'accepter.

Nous pourrions donc voir se lever à l'Assemblée nationale, un petit mercredi de février 2009, un Jean Charest courroucé réclamer un amendement constitutionnel pour sauver la culture québécoise.

Quand l'économie ne va pas bien, quand la politique interne est périlleuse, rien de mieux qu'une bonne vieille querelle entre peuples fondateurs.

Jean Charest, donc, se lève pour réclamer la pleine souveraineté culturelle. «Que fait le Bloc québécois, monsieur le président, pendant que la Nation québécoise réclame son appui pour défaire l'infâme gouvernement de Stéphane Dion, qui foule aux pieds nos droits et notre identité? Rien! Il appuie le gouvernement, monsieur le président!»

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C'est loin d'être farfelu, d'autant que Jean Charest entend clairement occuper tout le terrain nationaliste non souverainiste, et la souveraineté culturelle est une de ses nouvelles marottes.

Mais n'allons pas jusqu'à une demande de modification constitutionnelle - ce à quoi se refuse de toute manière Jean Charest pour l'instant, estimant que «le fruit n'est pas mûr».

Imaginons une classique querelle comme on en a vue une plus tôt cette année entre le ministre Raymond Bachand et le ministre fédéral Jean-Pierre Blackburn. M. Bachand accusait son homologue d'Ottawa de «déstructurer la façon de faire de notre société en matière de développement économique», en ayant changé les règles pour les subventions.

Ce type de chicane arrivait 10 fois par année du temps des libéraux de Jean Chrétien, notamment quand il était question de traiter avec Stéphane Dion, et elles se produisent encore.

Certains stratèges souverainistes comme M. Parizeau estiment avec raison que l'arrivée au pouvoir de Stéphane Dion ne peut qu'avoir un effet négatif sur l'option fédéraliste au Québec. Le problème, c'est que pour le porter au pouvoir, le Bloc s'attache les mains pendant 18 mois.

Nous verrions donc à répétition les membres du gouvernement fédéraliste de Jean Charest faire des sorties contre le gouvernement fédéral tandis que le Bloc regarderait passer le train. Il devrait ou bien se taire, ou bien renchérir verbalement, mais dans tous les cas il serait empêché de voter contre le gouvernement fédéral ou de prendre une action significative: il s'est engagé à voter avec lui. Quel sera son pouvoir de négociation pour imposer les projets de l'Assemblée nationale?

Que restera-t-il, alors, du rôle de chien de garde des «intérêts du Québec» dont le Bloc se réclame? Il restera des discours. Mais il renonce à sa liberté d'action.

Au-delà du choc de voir Stéphane Dion soutenu techniquement par le Bloc, on comprend que plusieurs militants ne voient pas dans cette coalition l'astuce souverainiste du siècle.

Pour joindre notre chroniqueur yves.boisvert@lapresse.ca