Le 9 novembre 1960, lendemain de l'élection présidentielle américaine, à la une de La Presse : «La victoire de Kennedy, un tournant capital dans l'histoire des États-Unis.»

La dépêche de l'Agence France-Presse reflétait l'opinion générale en Occident. L'élection de JFK «marque le triomphe de la nouvelle vague américaine», écrivait le journaliste.

«Pour la première fois, un catholique va s'installer à la Maison-Blanche. Plus qu'une nouveauté, c'est une révolution, un tournant capital dans l'histoire des États-Unis. Une image nouvelle de ce pays se dessine : elle réserve bien des surprises.»

On jurerait lire, à quelques détails près, une dépêche sur l'élection de 2008.

John F. Kennedy, héros de guerre, fils d'un des hommes les plus riches et les plus puissants des États-Unis, et Barack Obama, sont très dissemblables. Le rapprochement entre les deux s'impose néanmoins parce qu'ils ont incarné tous les deux un changement historique, dont tous avaient conscience dès le jour de l'élection.

On n'a pas idée, aujourd'hui, de ce qu'a pu représenter l'accession d'un catholique à la Maison-Blanche en 1960. «Un tabou disparaît donc aux États-Unis», écrivait dans Le Devoir André Laurendeau, le 10 novembre. «Le vieil antipapisme a peut-être livré et perdu sa dernière lutte.»

L'ampleur de l'événement était claironnée partout, comme aujourd'hui. Mais, contrairement à aujourd'hui, Kennedy n'était pas d'emblée un héros international. Si le Canada avait voté, il aurait même probablement voté contre lui.

Au Canada, au Canada anglais en particulier, Kennedy était loin d'être vénéré en 1960. De larges segments de la population, notamment des protestants, se méfiaient de lui. Pas seulement pour des raisons religieuses, mais aussi parce qu'il incarnait un progressisme en apparence radical.

Reportons-nous 48 ans en arrière. Le Québec vient tout juste d'élire Jean Lesage, mais après 16 ans de pouvoir ininterrompu de l'Union nationale et de Maurice Duplessis. Une large portion de l'électorat est encore très attachée aux valeurs traditionnelles. Le Canada est gouverné par John Diefenbaker, un premier ministre conservateur élu avec la plus forte majorité de l'histoire - dont 50 des 75 députés du Québec.

La plupart des programmes sociaux qui font en quelque sorte partie de l'identité canadienne, l'assurance maladie par exemple, n'étaient encore que des projets promus par des « socialistes ». Et même s'il ne prenait pas position officiellement, tout le monde savait que Diefenbaker favorisait Richard Nixon, défait par JFK.

En cette année 1960, le vent progressiste arrivait du sud de la frontière, donc. Il allait contribuer puissamment à donner de l'élan aux multiples réformes qui ont marqué la décennie au Canada. Les progressistes étaient pro-américains, les conservateurs plutôt antiaméricains.

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Quarante-huit ans plus tard, c'est à nouveau un gouvernement conservateur qui est au pouvoir au Canada. Certes, le Canada a changé considérablement. La gauche est plutôt méfiante face aux États-Unis, tandis que la droite s'inspire davantage de l'expérience américaine : c'est un renversement total.

Un gouvernement conservateur en 2008 au Canada ne ressemble en rien à un gouvernement conservateur en 1960. Jon Stewart, humoriste américain, tentant d'expliquer au public américain à quoi ressemble un gouvernement conservateur au Canada, disait qu'il faudrait penser à quelque chose comme «l'association gaie pour Ralph Nader».

Il est vrai que plusieurs des réformes qui seraient révolutionnaires aux États-Unis, comme l'assurance maladie, font partie des meubles ici.

Il n'en reste pas moins que sur plusieurs questions, Stephen Harper avait plus d'atomes crochus avec les républicains. Contrairement à Obama, Stephen Harper était favorable à la guerre en Irak. Et contrairement à Obama, notre premier ministre n'est pas particulièrement inquiet, aux dernières nouvelles, des changements climatiques.

Il y aura donc, à nouveau, ce vent progressiste qui soufflera du sud de la frontière.

Un Obama canadien ? Québécois ? Il n'y en a pas, comme il n'y a pas un de Gaulle québécois ou un Gandhi ontarien, parce que le génie de chaque pays produit des politiciens qui ne se transposent que très mal dans d'autres réalités historiques.

S'il y avait un Obama canadien, je veux dire s'il fallait dessiner un individu capable de permettre au pays de dépasser son péché originel, ce serait peut-être un jeune Métis quelque part, un Indien qui parle trois langues, quelqu'un ayant des parents dans une réserve...

Cette quête est vaine, de toute manière. Ce qu'on peut prévoir, c'est plutôt que le vrai Obama influence les politiques bien au-delà des frontières américaines. On peut penser qu'il se créera soudainement un espace plus grand, un « marché », pour l'innovation politique, pour les idées progressistes, un peu partout.

C'est ce probable déplacement de la force de gravité politique qui risque d'influencer tous nos partis politiques, y compris à droite. Et non l'illusoire recherche d'un clone local.