Sur le site humoristique The Onion, un faux professeur d'université noir est appelé à commenter la candidature de Barack Obama. «Je ne croyais pas vivre assez vieux pour voir un politicien noir se faire traiter d'intellectuel prétentieux de Harvard», dit-il.

Ce qui est une assez bonne manière de mesurer le chemin parcouru.

Quand je raconte l'histoire de Mississippi Burning à mes enfants, ils ne me croient qu'à moitié. Quand je leur dis que cette histoire vraie s'est passée l'année de ma naissance, ils trouvent que je suis terriblement vieux.

C'est vrai que je ne suis plus jeune, mais 1964, pourtant, c'était hier. Trois militants des droits civils portés disparus au Mississippi. Deux étaient des Blancs de New York, le troisième un Noir du Mississippi. Ils aidaient les Noirs à s'inscrire sur les listes électorales, ce qui dérangeait passablement. Des gens du Ku Klux Klan les ont pris en embuscade et assassinés.

Il faudra que le FBI descende là-bas, à l'instigation du président Lyndon B. Johnson, pour finir par trouver les corps enfouis dans des marais. Cet été-là, 35 églises noires ont été incendiées au Mississippi. Malgré toutes les violences, les autorités locales n'ont accusé personne pour ces crimes commis par des sympathisants du Ku Klux Klan - certains étaient des policiers.

Des accusations fédérales ont finalement été portées en 1964 pour «violation des droits civils» contre 18 hommes. Sept ont été déclarés coupables et condamnés à des peines de trois à 10 ans.

L'histoire ne veut pas s'arrêter pas là: 41 ans plus tard, en 2005, après le travail d'enquête d'un journaliste, l'un des 18 comploteurs est finalement accusé formellement de meurtre au Mississippi. Edgar Ray Killen, un ancien pasteur, a été déclaré coupable de meurtres à 80 ans et condamné à trois peines de 20 ans. La justice locale avait enfin agi.

Cette même année, le Sénat des États-Unis a présenté ses excuses aux familles des victimes de lynchage dans l'histoire américaine.

Pourquoi le Sénat? Parce que, depuis 1900, la chambre haute du Congrès américain avait bloqué tous les projets de loi votés par la Chambre des représentants pour simplement déclarer illégal le lynchage.

Cette justice populaire, qui consistait à pendre un criminel, ou présumé tel, sans aucune forme de procès, a fait plus de 4700 victimes entre 1882 et 1968, selon une évaluation. Le Mississippi, un État qui compte aujourd'hui à peine trois millions d'habitants, a le record de lynchages. Les trois quarts des lynchés étaient des Noirs, et leur crime pouvait être d'avoir tenté de séduire une Blanche. Jusqu'en 1967, la Virginie se battait devant les tribunaux pour défendre sa loi qui faisait du mariage interracial un crime.

Pour avoir une idée de ces scènes de réjouissance morbide, on peut aller voir le travail d'archiviste du lynchage qu'a fait James Allen sur le site Without Sanctuary. Certains ont fait des cartes postales de ces scènes de pendaison, où les lyncheurs posent fièrement. «Ces photos sont composées comme des natures mortes, on n'y voit pas seulement la scène de meurtre, mais l'attitude dominante qui a rendu le lynchage possible», dit Allen.

En 2005, donc, le Sénat a voulu laver sa conscience pour avoir empêché ces initiatives législatives contre le lynchage. Ce n'était pas un effort surhumain.

Et pourtant, des 100 sénateurs américains, 16 ont refusé d'appuyer formellement la résolution présentant des excuses, dont les deux sénateurs du Mississippi. «Je ne m'excuse pas pour ce que les autres ont fait de mal et dont je ne suis nullement responsable», a dit le sénateur Thad Cochrane. Position de principe qui se défendrait mieux si le même sénateur n'avait pas soutenu des initiatives d'excuses envers les Amérindiens et les Japonais internés pendant la Seconde Guerre mondiale...

Le vieux Sud ségrégationniste n'est pas mort, sans doute, mais il est marginalisé, il n'ose plus se montrer comme tel, ce qui est déjà la mesure d'un changement radical.

Après le vote du Sénat, en 2005, l'histoire retiendra probablement ces mots du seul sénateur noir de l'époque, un certain Barack Obama: «J'espère que cette Chambre fera quelque chose de concret pour guérir le legs de l'esclavage afin que nous n'ayons pas à nous excuser à nouveau dans 100 ans.

«Ce qui signifie terminer le travail du mouvement des droits civils, refermer cet écart qui existe toujours (entre Noirs et Blancs) en santé, en éducation, dans les revenus. La violence peut s'exprimer autrement que dans le lynchage. Il y a la violence contre les enfants qui n'ont pas d'espoir, des enfants qui sont assis au coin de la rue et qui ne pensent pas que leur vie vaut la peine d'être vécue.»

Il y a 44 ans, mais même il y a trois ans, qui aurait pu prédire qu'un tel homme arriverait au seuil de la Maison-Blanche en 2008?

Il y est. À la fois accélérateur de l'Histoire et aboutissement logique de l'Histoire. En même temps moteur de changement et pur produit de ce pays. Ce pays dont le monde a hâte de voir l'autre visage.