Elle n'a pas encore vraiment commencé, mais la Commission vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones est déjà une des plus chères et des plus longues commissions de l'histoire canadienne.

C'est aussi, malheureusement, la plus mal partie. Son président, le juge Harry LaForme, a démissionné la semaine dernière, incapable de s'entendre avec les deux autres commissaires.

Comme la commission doit durer cinq ans, mieux vaut que la démission survienne immédiatement. Mais c'est néanmoins un désastre qui s'annonce si le gouvernement se contente de remplacer le juge LaForme.

Les deux autres commissaires refusaient l'idée que le juge LaForme, quoique président de la commission, ait un vote prépondérant. Elles préfèrent fonctionner selon « la coutume autochtone du gouvernement par consensus », selon ce qu'elles ont dit au Globe and Mail.

Essayez de vous imaginer travaillant pendant cinq ans en comité permanent avec deux autres

personnes que vous ne connaissez pas. C'est déjà un défi considérable, même avec des gens qu'on aime. S'il faut en plus attendre les consensus pour prendre chaque décision...

C'est à peu près impraticable et le modèle des commissions à trois têtes est inutilement périlleux, car il multiplie les risques de blocage et de dérapage.

Depuis la fin août, le juge LaForme ne parlait pratiquement plus aux deux autres commissaires.

Le 26 septembre, le juge LaForme a refusé une invitation de l'Assemblée des Premières Nations, qui voulait rencontrer les commissaires en compagnie de survivants des pensionnats pour connaître l'état des travaux. Il estimait, avec raison, qu'il n'avait pas à répondre à une convocation d'une partie et a recommandé aux deux autres commissaires de ne pas s'y rendre. Elles ne l'ont pas écouté et s'y sont rendues tout de même.

Supposons qu'elles aient eu raison d'accepter cette invitation. À partir du moment où le président de la commission exprimait son malaise, il est clair qu'elles auraient dû éviter de s'y rendre. Surtout si elles recherchent le consensus !

Il faut être «sympathique» aux 80 000 survivants de ces pensionnats ; il ne faut pas en être captif, dit le juge LaForme. Il a évidemment raison.

Les premiers pensionnats ont été créés il y a 150 ans. Ils étaient dirigés par des communautés religieuses. On y envoyait les jeunes Autochtones de partout au Canada (sauf trois provinces atlantiques) pour les séparer de leur famille dès la première année, leur inculquer une éducation à l'européenne et «tuer l'Indien» en eux. En plus des séquelles psychologiques colossales laissées par cette entreprise de reprogrammation culturelle, plusieurs enfants ont été victimes d'abus de toutes sortes.

Après des années de négociations et de poursuites, un vaste règlement entre les Premières Nations, les églises et le gouvernement du Canada a été entériné par les tribunaux. Il prévoit des paiements de 1,9 milliard de dollars pour indemniser tous les pensionnaires, à raison de 10 000 $ pour la première année et 3000 $ pour chaque année subséquente. En sus du 1,9 milliard, des sommes pouvant aller jusqu'à 275 000 $ par personne sont aussi prévues pour ceux qui peuvent démontrer qu'ils ont subi des abus physiques ou sexuels. On a ajouté 125 millions pour des programmes de guérison, 20 millions pour des commémorations et, enfin, 60 millions pour cette commission d'enquête extraordinaire, mise sur pied le 1er juin.

Sa première moitié (vérité) doit servir à recueillir des témoignages de survivants partout au Canada afin de connaître les faits et de constituer des archives. La deuxième moitié (réconciliation) doit servir à tenter de fonder une relation plus saine entre le Canada et les peuples autochtones, à travers des forums publics et des activités qui n'ont pas encore été précisées.

Le gouvernement Harper avait trouvé le candidat idéal pour présider cette commission. Le juge LaForme, un Indien mississauga, siège à la Cour d'appel de l'Ontario. Respecté par les Autochtones et la communauté juridique, il allie un engagement de longue date à une carrière de juriste qui permettait à tout le monde d'espérer que la commission travaillerait avec compassion et impartialité. En un mot, qu'elle serait crédible - pas seulement aux yeux des Premières Nations.

Les deux autres commissaires, Claudette Dumont-Smith, Algonquine du Québec spécialiste des questions de santé, et Jane Brewin Morley, avocate non autochtone, ont aussi une expérience pertinente. On ne saura jamais ce qui s'est passé précisément entre ces trois personnes. Mais le juge LaForme avait le sentiment qu'il serait constamment mis en minorité par les deux autres, et l'incident du 26 septembre semble lui donner raison.

Si cette commission doit donner quelque chose, il faut carrément tout recommencer. Être le ministre des Affaires indiennes, j'annulerais les nominations et je rédigerais un nouveau décret. Pourquoi trois commissaires ? Un seul suffit. Les autres experts, juristes ou autres, peuvent travailler pour la commission sans la diriger.

Puis je renommerais un juge hautement crédible comme commissaire unique : Harry LaForme, par exemple!

Il est déjà suffisamment difficile d'intéresser le public à cette tragédie historique. Qu'au moins la commission censée la documenter soit fonctionnelle, efficace et convaincante. Surtout si on prétend s'en servir pour refonder une relation gravement malade.

COURRIEL