Au départ, la nouvelle a fait sensation: Thomas Steen, ancien capitaine des Jets de Winnipeg, se présente comme candidat conservateur dans Elmwood-Transcona!

Mieux: les coordonnateurs de sa campagne sont les deux seuls autres joueurs de la défunte équipe dont on a retiré le chandail, les très fameux Bobby Hull et Dale Hawerchuk. Quel trio!

Sauf que toute cette histoire est une vaste blague. Comment vous dire? C'est un peu comme si Yvan Cournoyer, qu'on aime bien par ailleurs, se présentait pour le Bloc québécois, mais dans Westmount.

Je veux dire que Steen n'a à peu près aucune chance. D'abord, parce que le sympathique joueur de centre suédois (264 buts, 553 passes en 940 matchs) n'a manifestement que des connaissances superficielles des enjeux politiques. Il est devenu citoyen canadien l'an dernier et n'a pas fini d'améliorer son anglais.

Ensuite, parce qu'il s'essaie dans une des circonscriptions les plus néo-démocrates au Canada. Le vétéran du Parlement, Bill Blaikie, y a été élu sans interruption depuis 1979 pour le NPD, généralement avec la moitié des suffrages exprimés. Et toutes les cinq circonscriptions provinciales recoupées par Elmwood-Transcona sont NPD, dont celle du très populaire premier ministre Gary Doer.

Les gens s'affichent d'ailleurs fièrement sur leur pelouse. Je n'ai jamais vu une telle concentration de pancartes de la même couleur (orange, bien sûr).

Après d'intenses négociations, j'ai rencontré l'ancienne vedette lundi soir dans l'école désaffectée qui lui sert de local électoral. J'ai compris pourquoi il n'accepte qu'avec parcimonie les invitations médiatiques, en plus de refuser tout débat.

- Qu'est-ce qui vous amène en politique?

- Plusieurs événements m'ont convaincu de m'impliquer en politique.

- Quels événements?

- Des événements de charité.

- Est-ce que Dale Hawerchuk et Bobby Hull travaillent fort pour vous?

- Ils vont peut-être venir faire un tour, je ne sais pas quand. Ils sont venus à mon tournoi de golf au mois d'août. Je suis allé à la pêche avec Bobby, on s'est bien amusés.

Vous aurez compris que M. Steen utilise le nom de ces deux autres vedettes à des fins purement publicitaires, comme ce chandail de hockey qu'il porte sur son site.

- Quels sont vos projets?

- Je veux nettoyer le centre-ville et imposer des règles plus strictes aux jeunes criminels.

- On vous reproche de ne pas vivre dans le quartier (il habite Tuxedo, le quartier huppé).

- Je vais déménager si je gagne. Je regarde les maisons.

Moi aussi, je les ai regardées, et je serais très étonné que M. Steen déménage dans ce quartier ouvrier, composé essentiellement de bungalows et de modestes maisons de vétérans. Mais la vie est pleine de surprises, j'avoue.

Steen accuse donc un retard d'environ cinq buts et la troisième est commencée. Pour rendre l'affaire plus compliquée, l'adversaire ici est un digne successeur de Bill Blaikie, Jim Maloway, député provincial d'Elmwood depuis 1986. Redoutable.

L'homme est de cette sorte de néo-démocrates typiques de l'Ouest, assez dissemblables de leurs cousins de l'Ontario ou du Québec. C'est un petit entrepreneur (il a sa firme de courtage d'assurances) qui croit fermement dans l'intervention de l'État, mais qui n'est pas du tout mal à l'aise avec certaines idées conservatrices. Au fait, le NPD provincial ici est beaucoup moins à gauche que le parti fédéral. Neuf ans de pouvoir y ont contribué.

«Quand on arrive au pouvoir, ou quand on s'en approche, il faut se recentrer. Dans l'opposition, tous les partis se ressemblent. Je suis un entrepreneur, et si je suis élu, je pense que je vais contribuer à créer une image plus modérée du caucus du NPD.»

Il est de ceux, par exemple, qui croient qu'il faut des lois criminelles plus sévères. «Mais quand c'est utile, pas seulement des idées qu'on lance dans une campagne comme un morceau de steak à des fauves.

De quoi parle-t-on ici? Du pont Disraeli, un de la dizaine enjambant la rivière Rouge, qui serpente capricieusement au milieu de Winnipeg. M. Maloway me montre des cartes, une pétition et décrie le projet de privatisation de ce pont, que la Ville dit ne pas avoir les moyens de réparer.

«Ce n'est pas budgétaire, c'est idéologique», dit-il.

Les libéraux? Invisibles ici. C'est une lutte à deux. À deux? Dans ces vieux quartiers, construits largement après 1945 pour loger les familles des employés des industries installées en bordure de la circonscription (dont les ateliers du CN), la tradition remonte à bien avant le NPD, au temps du CCF.

Thomas Steen ne devrait pas appeler l'agent d'immeubles trop vite.

Il y a 14 députés au Manitoba, qui compte un million d'habitants (dont 700 000 à Winnipeg). Aux élections de 2006, les conservateurs en ont fait élire huit, les libéraux et les néo-démocrates trois chacun.

Les trois sièges du NPD, remportés avec d'importantes majorités, paraissent solides. Pour les libéraux, c'est moins certain, deux ayant remporté leur victoire par environ 3000 votes, l'autre étant Raymond Simard, dans Saint-Boniface, avec moins de 2000. Il y a de la nervosité dans l'air, le Tournant vert ne passant guère mieux que le chef. Par contre, les libéraux ne désespèrent pas de reprendre Winnipeg-Sud, perdu aux mains des conservateurs par seulement 111 votes par Reg Alcock. Pour le reste, les conservateurs sont bien en selle. Ce sont donc les libéraux qui paraissent avoir le plus à perdre au Manitoba.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca