On traverse la rivière Rouge. Les rues s'appellent Provencher, Louis-Riel, Jeanne d'Arc. Il y a une caisse populaire, une affiche de la Saint-Jean-Baptiste, le Cercle Molière, des commerces aux enseignes bilingues et des «magasins d'alcools».

Il y a aussi le bureau électoral du député libéral, Raymond Simard, un homme qui a chaud ces jours-ci. Dans toutes les élections générales, Saint-Boniface a été libéral depuis 1924... sauf deux fois, lors de balayages conservateurs historiques: en 1958 (Diefenbaker) et 1984 (Mulroney).

«Jean Chrétien disait qu'il pouvait sentir l'humeur du pays en venant à Saint-Boniface», confie M. Simard, un ancien entrepreneur en construction, natif de l'endroit, député depuis 2002.

Eh bien! sans avoir le flair d'un gars de Shawinigan, si cette circonscription comptant 17% de francophones est un baromètre, ça ne sent pas très bon pour les libéraux. Déjà qu'en 2006, M. Simard l'avait emporté par moins de 2000 votes, contre un candidat unilingue anglophone. Cette fois-ci, c'est une autre histoire.

Le projet de Stephen Harper de punir davantage les jeunes délinquants a un certain succès dans cette province où, l'an dernier, on a recensé 33 meurtres commis par des adolescents (contre quatre au Québec, qui compte sept fois la population du Manitoba).

La sécurité publique dans la capitale canadienne du crime est un enjeu majeur, même si Saint-Boniface est le secteur le plus paisible et un des plus coquets de Winnipeg.

Or, il se trouve qu'à Saint-Boniface, les conservateurs ont choisi une véritable star de la police de Winnipeg pour les représenter. Shelly Glover, une femme volontaire au regard bleu perçant, a été jusqu'à récemment la porte-parole de la police. Elle a 18 ans d'expérience sur le terrain, s'est frottée aux Hells Angels comme aux gangs de rue, a fait de l'infiltration et connaît très bien la rue. Son syndicat l'a officiellement appuyée, jusqu'à ce que des membres exigent un retour à la neutralité politique.

Cette femme qui a élevé cinq enfants est issue de la première vague d'écoles d'immersion francophone. Elle est parfaitement bilingue. Elle a commencé à faire du porte-à-porte il y a plus de deux ans chaque jour en revenant du travail. Déterminée, vous dites?

«C'est déjà difficile d'être libéral dans les Prairies, nous sommes 4 sur 58 députés; mais cette fois-ci c'est un peu plus difficile», avoue M. Simard.

Et puis... il y a la question du chef. Je n'avais pas fait 50 pas dans une résidence pour personnes âgées avec le député Simard qu'un homme en chaise roulante lui lançait ce que 100 autres lui ont dit en d'autres mots: «Votre Dion, ce n'est pas la solution, et si vous ne le comprenez pas, vous êtes dans le trouble!

- Oui, mais vous avez un bon député! réplique Simard.

- Oui, oui, je vais voter pour vous. Mais changez de chef!»

Devant la quinzaine de personnes âgées qui l'attendent en sirotant un café et en mangeant des beignets coupés, le député explique dans les deux langues qu'on ne peut pas régler les problèmes criminels uniquement par la répression. Dans les centres pour jeunes délinquants, dit-il, 80% des jeunes sont des autochtones. Plus du tiers auraient souffert du syndrome alcoolique foetal. Leurs familles sont souvent déstructurées. Il n'y a pas de solution simple.

Parlant de choses simples, le Plan vert n'est pas du tout compliqué, dit-il. Il explique que la taxe est neutre fiscalement, parle des 13 milliards récupérés qui serviront à diminuer les impôts, glisse une note sur d'éventuels programmes sociaux et affirme que ça n'aura aucun effet à la pompe, en énumérant les produits sur lesquels elle s'appliquera, les conditions et quelques exemptions.

Des questions? «Ma femme est handicapée et je suis obligé d'avoir une grosse camionnette», dit un homme, à moitié convaincu. Ce n'est peut-être pas compliqué, mais il faut l'expliquer longtemps.

Je rejoins Shelly Glover dans un autre édifice de retraités. Un chauffeur de camion à la retraite, Bill Calder, m'explique pourquoi il a décidé de faire du bénévolat pour elle.

«Il y a deux ans, sa nièce handicapée mentale est morte dans un accident d'automobile. Shelly était porte-parole de la police. Les gens avaient de la sympathie pour sa famille. Elle a dit que sa nièce n'aurait jamais dû se retrouver derrière un volant, de ne pas blâmer l'autre automobiliste. J'ai trouvé que c'était une femme solide. Avec elle, pas de bullshit.»

Bill me mène à la candidate, en congé sans solde du service de police. «Vous savez que je suis la seule candidate qui a des enfants», dit-elle à une dame.

Famille et sécurité publique sont ses deux grands sujets, on l'aura compris.

Elle explique aux gens qu'elle entre en politique parce qu'elle en a marre du laxisme du système de justice criminelle. Elle m'explique qu'elle ne peut plus arrêter «les gamins» pris avec de la drogue. Elle doit leur donner un avertissement, puis un autre, et après trois fois, si elle arrête un jeune, le procureur le laissera filer. «Même si on sait qu'il travaille comme trafiquant. C'est très frustrant et les jeunes ne nous prennent pas au sérieux.»

Sa mère a travaillé dans des centres de détention pour jeunes. «Nous allions passer Noël dans un centre, me dit-elle. Il faut de l'éducation, il faut des centres de désintoxication, mais pour certains, il faut aussi punir davantage.»

Pour compléter le tableau, la candidate Glover a des origines métis du côté de sa mère et est impliquée dans l'association. Avec son mari, ils ont une entreprise d'ébénisterie spécialisée dans les cercueils. «Le taux de mortalité infantile est plus élevé dans les Premières Nations. C'est déjà assez terrible de perdre un enfant, s'il faut en plus payer pour un cercueil... Alors, nous essayons d'aider en fournissant des cercueils pour les familles qui perdent un enfant.»

Ce sera serré, sans doute, dans Saint-Boniface. Mais ils sont nombreux, dont le Winnipeg Free Press, à dire que ça sent le tournant bleu. Bleu police.

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