L'hiver dernier, l'abbé Philippe de Maupeou a reconnu avoir caressé la vulve et les seins d'une fillette de 8 ans. Il a été condamné à six mois de prison à purger dans la collectivité.

Le prêtre est banni à vie du travail en paroisse. Mais, comme c'est souvent le cas dans les affaires de crimes sexuels, le diocèse de Montréal l'envoie étudier le droit canon à l'Université Saint-Paul à Ottawa, un programme de recyclage professionnel qui coûtera 60 000$.

Certains se scandalisent qu'on dépense l'argent des fidèles pour envoyer étudier ce prêtre. Ce que je trouve bien plus pénible, c'est de voir, chaque fois, combien les hommes d'Église vivent dans le déni. Le mot pédophilie est encore terriblement difficile à prononcer.

«On l'a fait soigner, a dit le cardinal Jean-Claude Turcotte, jeudi dernier, sur les ondes de 98,5 FM. Il (l'abbé) a passé une période de plusieurs mois dans un institut spécialisé pour bien vérifier si c'est un pédophile ou si c'était une erreur de comportement. On sait que ce n'est pas un pédophile, la science actuelle nous le dit.»

Méfions-nous des hommes d'Église quand ils parlent de sexologie.

Un homme de 47 ans n'agresse pas une fillette de 8 ans par accident. Il le fait parce que ça l'excite, et cette excitation porte un nom, votre Éminence: la pédophilie. Les rapports de presse nous disent que le prêtre a également approché une autre fillette, mais sans aller aussi loin.

À l'archevêché, vendredi, on précisait la pensée du cardinal Turcotte: des experts ont évalué que le prêtre n'est pas un prédateur pédophile. C'est à cette expertise que le cardinal faisait référence en parlant de la science et de l'erreur de comportement. On nous dit également qu'il n'y a pas eu de poursuite et que le diocèse a payé pour le soutien psychologique de la famille de la victime.

On n'en est peut-être plus à l'époque pas si lointaine de l'étouffement pur et simple des scandales sexuels, quand on mutait le prêtre fautif et qu'on faisait taire la victime.

Mais le charitable effort pour faire de l'abbé de Maupeou un administrateur serait mieux compris si, au moins, on était capable de reconnaître la simple réalité.

Erreur de comportement! Des déclarations du cardinal Turcotte aux excuses du cardinal Ouellet, on sent encore l'extrême réticence à simplement admettre les abus des prêtres, à en prendre toute la mesure.

Rappelons-nous ce morceau d'anthologie du cardinal Ouellet, l'hiver dernier, qui demandait pardon pour «des attitudes étroites de certains catholiques avant 1960»! Il ne reconnaissait même pas la faute de la hiérarchie, remarquez bien: c'étaient «des catholiques», ou «des curés» qui véhiculaient les pires préjugés, bref, des incidents isolés.

Des homosexuels ont été congédiés de l'Église bien après 1960 et des pédophiles protégés bien après ça.

Si le cardinal Ouellet a reconnu des crimes passés, il a oublié commodément de demander pardon pour la manière dont l'Église a réagi quand elle a été informée de ces crimes. «Ces scandales ont ébranlé la confiance du peuple envers les autorités religieuses.» Pas seulement les scandales; la gestion des scandales par des religieux. Comment les victimes ont-elles été reçues par cette institution qui prêche la charité chrétienne?

Peut-être, dans un autre siècle, un cardinal en parlera-t-il.

Restera-t-il quelqu'un pour l'écouter?

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En 1985, un groupe de prêtres catholiques américains très respectés avait averti les évêques des États-Unis: la pédophilie est une bombe à retardement dans l'Église et, si rien n'est fait, en quelques années seulement, elle croulera sous des poursuites de plus d'un milliard de dollars.

Ce rapport secret avait été commandé pendant le premier procès d'un prêtre pour crime sexuel dans l'histoire américaine.

L'un des auteurs, le révérend Thomas Doyle, estimait à l'époque que le nombre de pédophiles parmi les prêtres catholiques américains pouvait s'élever à 5%. C'est-à-dire 3000 clercs sur 57 000. La pédophilie, ajoutait-il, est «le plus sérieux problème auquel l'Église doit faire face depuis des siècles».

Le rapport, parfaitement lucide, proposait de mettre fin à la mutation des prêtres pédophiles, à l'étouffement des scandales et à la loi du silence pour s'occuper des victimes. On l'a jugé alarmiste dans la hiérarchie, qui n'a pas voulu entendre cette vérité embarrassante ni changer ses manières.

Vingt-trois ans plus tard, on peut se demander si celui qu'on accusait d'exagérer n'avait pas sous-estimé le problème. On estime que, depuis 2002, les diocèses américains ont versé plus de deux milliards de dollars à 12 000 victimes de pédophilie pour les agissements de 5000 prêtres. Cinq diocèses sont maintenant en faillite, dont Boston et San Diego.

Interrogé après avoir été mis à la retraite par son évêque il y a cinq ans, le père Doyle s'est dit «profondément en colère et encore plus triste, pas pour moi, mais parce qu'il a fallu le viol, l'agression, le pillage et le meurtre de l'âme de milliers et de milliers de gens pour attirer leur attention».

Nos hommes d'Église l'ont-ils entendu?