Ce qui est extraordinaire dans le cas de Jean Lafleur, le super-fraudeur des Commandites, ce n'est pas tant qu'il soit libre.

C'est que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'ait pas tenu compte de ce léger détail : l'homme a été dûment condamné à rembourser 1,5 million au gouvernement fédéral. Il n'en a payé que 200 000$.

Aucune importance, l'homme a obtenu sa libération à la première occasion.

Si au moins ce problème était soulevé dans la décision de la Commission, on aurait un semblant d'explication. Mais il semble que ce ne soit même pas une considération.

Cette condamnation à rembourser le gouvernement fait pourtant partie de la sentence prononcée par la juge Suzanne Coupal en juin 2007, comme le note la commission.

La juge Coupal l'a condamné à quatre ans de pénitencier (moins six mois pour la détention préventive de trois mois, qui compte double); elle lui a imposé une amende de 14 000$ (qu'il a payée) ; et enfin, elle a ordonné le remboursement intégral de la somme qu'il a reconnu avoir obtenue frauduleusement, soit 1,5 million.

Aujourd'hui, Lafleur n'a remboursé sur cette somme que 235 000$. Il nous dit, comme l'an dernier, qu'il est ruiné. Et pour nous convaincre davantage, Lafleur a déclaré faillite cet été.

Vous sentez des larmes qui montent?

Lui qui a fait la fête pendant le règne libéral à Ottawa, lui qui recevait comme un seigneur, n'aurait plus un sou.

Sa firme a tout de même reçu pour 65 millions de contrats du programme de commandites. Le gouvernement fédéral lui réclame encore plus de 6 millions. On n'a pas réussi à retracer le moindre actif depuis trois ans.

Dans sa déclaration de faillite, il dit qu'il a vendu sa maison de Sutton pour 1,45 million en 2005, argent qu'un avocat a gentiment placé non pas à la caisse populaire de l'endroit, mais au Liechtenstein. Il a alors fait des « investissements en Chine, Costa Rica et Belize » et vécu avec le reste en Amérique centrale et en Europe avant d'être arrêté, dit-il.

Supposons un instant qu'il n'ait plus un sou. Un juge a tout de même prononcé une condamnation de remboursement dans le cadre d'une affaire de fraude. Ne pas payer n'aurait donc aucune conséquence? Apparemment, non, aux yeux des commissaires aux libérations conditionnelles.

Ce n'est même pas pertinent pour savoir si cet homme doit avoir une libération conditionnelle à la première occasion !

Il ne s'agit pas d'ajouter à la peine. Il s'agit de savoir si le détenu mérite d'obtenir une libération conditionnelle. Or, à lire les commissaires, le seul véritable critère est le risque de violence ou de récidive.

Lafleur, à 67 ans, ne fait pas très peur. Surtout s'il a joué pour les commissaires l'épagneul neurasthénique, numéro qui l'a rendu célèbre à la commission Gomery.

Longtemps avant de se faire arrêter, Lafleur savait qu'il faisait l'objet d'une enquête. De deux choses l'une. Ou bien il a caché son argent. Ou bien il a brûlé tout l'argent volé à l'État avant que le gouvernement ne mette le grappin dessus.

Dans les deux cas, cela doit avoir une conséquence pénale. Parce que ce sont des gestes de mauvaise foi, qui aggravent sa situation. Pour utiliser le jargon poétique de la commission, l'homme «banalise son agir délinquant».

Pas grave : au sixième de sa peine (sept mois), il a obtenu une semi-liberté en maison de transition, où il a fait du bénévolat auprès de handicapés. Et au tiers de sa peine, cette semaine, il est en liberté conditionnelle complète et il travaille au restaurant d'un ami.

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Je ne reviens même pas sur le Programme d'examen expéditif, qui permet à des détenus condamnés à une première peine fédérale (deux ans ou plus) pour un crime non violent d'être libérés au sixième de leur peine. J'ai déjà critiqué assez souvent que cette mesure, qui bénéficie essentiellement aux membres du crime organisé et aux mégafraudeurs en complet, y compris ceux qui préméditent un système qui roule pendant des années. C'est un détournement des sentences infligées par les juges et un élargissement injustifié des libérations conditionnelles.

Je parle ici simplement de bon sens. Une juge n'a pas cru l'histoire de Lafleur, qui se prétend ruiné. Elle a émis une ordonnance, qui ne sera probablement jamais exécutée, vu qu'on ne sait pas où trouver l'argent.

Mais cette conclusion de la juge Coupal signifie qu'aux yeux de la Cour, cet homme dissimule encore l'argent qu'il a volé à l'État dans quelque Liechtenstein. Cela devrait logiquement lier les commissaires aux libérations conditionnelles, ou les intéresser...

Lafleur n'a remboursé que le sixième de ce million et demi qu'on présume officiellement caché. Ce simple fait devrait au moins l'empêcher d'obtenir la plus magnanime des décisions, comme ce fut le cas.

Ça ne fait pas très sérieux.