Décidément, l'automne 2016 aura été la saison des tabous sur la scène politique québécoise, et chaque nouvel épisode démontre qu'au-delà de l'embarras, le gouvernement semble impuissant à changer réellement les choses.

Il y a eu, d'abord, les agressions sexuelles et le sexisme ordinaire, sujets relancés par l'« affaire Sklavounos ». Puis, autre malaise à Québec, la surveillance des journalistes et de leurs sources par la police et, enfin, le racisme systémique présumé des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) envers les autochtones.

Dans le premier cas, Gerry Sklavounos a été exclu du caucus libéral, mais la suite de l'affaire est hors du contrôle du gouvernement, et elle pourrait fort bien s'étirer pendant des mois.

Dans le cas de l'espionnage de journalistes par la police, le gouvernement Couillard a rapidement ordonné une enquête publique (qui est en train de prendre forme), et il est aussi question d'une loi pour protéger les sources journalistiques. On a prestement mis le couvercle sur la marmite, mais de toute évidence, le gouvernement ne peut faire plus contre les abus de la police.

Arrivent maintenant ces accusations de racisme systémique de la police envers les autochtones (et d'agressions envers des femmes autochtones), une autre source de profond embarras pour Québec. Un embarras aggravé par l'absence d'accusations contre les policiers de la SQ du poste de Val-d'Or malgré 37 dossiers et des témoignages accablants des présumées victimes dans le reportage d'Enquête, notamment.

Dans cette situation particulière, il y a télescopage de tabous : culture policière, situation pitoyable des autochtones, racisme, agressions sexuelles, système de justice inéquitable... Que du laid. Et une belle grosse « patate chaude » pour le gouvernement Couillard.

Le ministre des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley, est un parlementaire d'expérience, respecté et plutôt discret, dont on n'entend pratiquement jamais parler. Cela vaut mieux pour lui, d'ailleurs, puisque généralement, quand on entend parler du ministre des Affaires autochtones, c'est parce qu'il y a une crise. Le voilà donc pris avec un gros problème sur les bras et très peu de solutions satisfaisantes disponibles.

L'opposition et les autochtones réclament une commission d'enquête, un réflexe normal dans les circonstances, mais est-ce vraiment la meilleure option ? J'en doute.

Croit-on vraiment que la Sûreté du Québec (et certains corps de police municipaux), déjà sur la sellette avec l'enquête sur la surveillance des journalistes, sera ouverte et transparente dans une commission d'enquête ? Vous imaginez un agent de la SQ témoigner en disant ouvertement : « Ben oui, je suis raciste, je nourris les pires préjugés envers les autochtones et je tripote leurs femmes et leurs filles dans mon autopatrouille ? »

La SQ et ses agents diront, c'est prévisible et c'est vrai, quoi qu'on puisse penser du processus de la « police qui enquête sur la police », qu'ils ont été blanchis par l'enquête à Val-d'Or. Par ailleurs, ces agents ont intenté des recours contre Radio-Canada, ce qui les rendra encore plus réticents à parler devant une commission d'enquête.

Une commission d'enquête sur la question risque donc de tourner en un exercice à sens unique : les autochtones viendront dire ce qu'ils et ce qu'elles ont déjà dit, ce qu'elles ont vécu et, encore une fois, il n'y aura pas de suite. Pas sûr que ce soit le but recherché.

Le ministre Kelley propose une table de travail, ce que rejettent les représentants des autochtones. On peut fort bien comprendre leurs réticences, eux qui se sont fait si souvent rouler dans la farine, mais je crois qu'ils auraient intérêt à pousser plus loin cette idée de « table » pour qu'elle devienne, avec la participation active de leurs communautés, un observatoire en temps réel des relations avec la police et les autorités politiques. Pas une autre « patente » bidon, pas une autre « table » factice dont le but premier est de gagner du temps et, à terme, de noyer le poisson, mais un centre névralgique d'action codirigé par un représentant des autochtones et un représentant du gouvernement.

Les problèmes des communautés autochtones sont connus depuis des décennies au Québec et au Canada. Il y a eu le rapport de la commission Erasmus-Dussault en 1996 (400 recommandations) ; la Gendarmerie royale du Canada a admis que certains de ses agents ont maltraité des femmes autochtones ; la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a pondu un rapport alarmant sur la discrimination et le profilage, notamment envers les autochtones, en 2011 ; le rapporteur spécial de l'ONU pour les autochtones a critiqué le Canada ; le groupe Human Rights Watch a fait de même, et la Commission de vérité et réconciliation a documenté le terrible chapitre des pensionnats autochtones.

Je suis d'accord avec le ministre Geoffrey Kelley : il y a urgence d'agir et le temps n'est plus au blabla, mais à l'action.

Le gouvernement Couillard devrait, par ailleurs, donner suite prochainement à la demande de la commission jeunesse de s'attaquer au racisme systémique au Québec, que ce soit de la part des corps policiers ou des employeurs, notamment.

Il est question ici d'un « groupe de travail » piloté par la ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, qui a rencontré les représentants des jeunes libéraux et des militants des droits des minorités récemment.

Le sujet est toutefois très délicat au Parti libéral et au gouvernement Couillard. J'y reviendrai bientôt dans une prochaine chronique.