Dans deux semaines (13 dodos, comme l'a dit hier Jean-François Lisée), le Parti québécois aura un nouveau chef, et à en juger par le deuxième débat officiel entre les candidats, tenu à Montréal, les jeux sont bien loin d'être faits entre Alexandre Cloutier et Jean-François Lisée.

S'il est vrai que les débats peuvent, parfois, influencer le choix des électeurs (des militants, dans ce cas-ci), celui d'hier, fort couru (la grande salle du Monument-National était bondée et une salle de débordement avait été aménagée au sous-sol), a vraisemblablement été payant pour Jean-François Lisée, qui a gagné haut la main ce débat. Les derniers débats n'avaient pas permis de déterminer un gagnant net, mais hier, ce fut une autre histoire.

À l'inverse, l'après-midi a été difficile pour Alexandre Cloutier, chahuté à plusieurs reprises, même si on comptait beaucoup de foulards verts dans la salle et que ses partisans ont scandé son nom à la toute fin des échanges. Ses hésitations et ses esquives pour ne pas répondre aux questions de ses rivaux ont déplu à plusieurs. Un homme au coffre puissant assis non loin de moi lui a même lancé « Hey, Cloutier, réponds donc à la question ! » sur un ton qui ne s'apparentait pas à la franche camaraderie.

Mis à l'épreuve par Martine Ouellet sur la question de la langue, puis par Paul St-Pierre Plamondon sur le même sujet et, enfin, par Jean-François Lisée sur la laïcité, Alexandre Cloutier a semblé prudent, nerveux, défensif. Jean-François Lisée, lui, est resté calme et posé. Toujours plus facile d'être le challenger dans une course.

Il faut dire que Jean-François Lisée, mieux préparé que son principal rival, a sorti quelques lapins pas piqués des vers de son chapeau, notamment la perspective de voter pour le projet de loi libéral sur la laïcité (un début, selon lui), ne serait-ce que pour se faire dire par le fédéral que le Québec ne peut interdire à certains de porter des signes religieux (comme les juges ou les policiers). Du Lisée pur jus : la stratégie, toujours la stratégie, tout le temps et en toute circonstance.

Plus tard dans le débat, M. Lisée en sort une autre : en 2019, il y aura des élections fédérales et il sera le temps pour le Québec (idéalement dirigé par un gouvernement péquiste, évidemment) de passer un message à Justin Trudeau si celui-ci donne le feu vert au pipeline Énergie Est. Bon, c'est un peu tordu, mais on reconnaît là le Machiavel péquiste.

Le député de Rosemont a suggéré une autre trouvaille, franchement audacieuse : proposer une réforme du mode de scrutin avant les prochaines élections et demander aux chefs libéral, caquiste et d'Option nationale et aux co-porte-parole de Québec solidaire de signer eux aussi cet engagement. Avec Jean-François Lisée, le stratège n'est jamais bien loin, et il a démontré qu'il avait réfléchi spécifiquement aux enjeux de ce débat (connus à l'avance), ce qui n'était visiblement pas le cas de tous ses adversaires.

Le plus souvent, les réponses d'Alexandre Cloutier sont vagues et convenues. Des réponses « Lipton » : n'ajoutez que de l'eau. Ça donne une soupe, ça satisfait certains, mais ce n'est pas très consistant.

Sans rien enlever à Martine Ouellet, fidèle à elle-même et à son plan de match, et à Paul St-Pierre Plamondon, qui continue d'étonner par son aisance sur les planches politiques, la bataille finale dans les deux prochaines semaines aura lieu entre MM. Cloutier et Lisée.

Dans ces circonstances, qu'est-ce qui se passe dans la tête de Philippe Couillard ?

Qui préférerait-il retrouver en face de lui le 18 octobre ? (C'est congé parlementaire la semaine précédente.)

Évidemment, pour les libéraux, qui misent tout sur la crainte d'un référendum, l'élection de Martine Ouellet relève du fantasme, mais comme cela a très peu de chances de se produire, passons à MM. Cloutier et Lisée (en tout respect pour PSPP, qui ne peut gagner non plus).

À tout prendre, les libéraux préfèrent probablement Alexandre Cloutier, plus conciliant, moins imprévisible et moins dangereux stratégiquement que Jean-François Lisée.

Philippe Couillard, dont les réflexes politiques ne sont pas toujours des plus aiguisés, aurait maille à partir avec Jean-François Lisée au Parlement. La joute, assurément, serait plus relevée.

Par ailleurs, la position référendaire de Jean-François Lisée (pas de référendum avant 2024 ou 2025) est plus embêtante pour les libéraux. Il y a des limites à agiter préventivement les épouvantails.

Alexandre Cloutier, lui, laisse planer un flou et il promet d'utiliser des fonds publics pour préparer l'indépendance, même s'il rejette le référendum dans un premier mandat. Du bonbon pour les libéraux.

Sur les dossiers identitaires, toutefois, Alexandre Cloutier est plus souple (on le lui reproche d'ailleurs au PQ) que M. Lisée, qui a avancé plusieurs idées controversées sur ces questions au fil des années. Les libéraux, assurément, aimeraient en débattre avec lui.

À mots couverts, les libéraux disent ne pas être très inquiets de la suite des choses, que ce soit Alexandre Cloutier ou Jean-François Lisée.

Le député de Rosemont fait un peu mieux que son rival du Lac-Saint-Jean (selon les sondages actuels), mais aucun ne conduirait le PQ vers une victoire électorale franche. Surtout, aucun n'arrive à siphonner les votes partis vers la CAQ, gage de division payante pour le PLQ.

En privé, les libéraux se délectent aussi à l'avance des dissensions au sein du caucus du Parti québécois, dissensions exacerbées par cette course à la direction.