Il est toujours risqué pour un jeune homme de 39 ans d'employer des mots définitifs comme « jamais », mais Alexandre Cloutier est formel : si ça ne fonctionne pas cette fois-ci, cette course au leadership du Parti québécois aura été sa dernière.

« Je ne peux pas m'investir plus que je le fais. Je sais que c'est là ou jamais. Jamais je ne vais refaire une course au leadership. Ce n'est pas humain, et à un moment donné, il faut comprendre le message des militants », dit-il lors d'une entrevue dans un petit café de la rue Amherst.

Jamais, vraiment ? Ce n'est pas un peu imprudent de dire ça ? Pauline Marois, après tout, a eu besoin de trois courses (et même trois et demie si on compte la course avortée de 2001) et de plus de 20 ans avant de devenir chef et, à terme, première ministre.

« Non, non, non, pas moi... », répond simplement le député de Lac-Saint-Jean, en hochant la tête avec un petit sourire aux lèvres qui semble dire : « J'ai donné, merci. »

L'éloignement de la famille (sa femme et leurs deux enfants sont au Lac-Saint-Jean), les horaires déments, les débats et les accrochages avec les adversaires, les courtes nuits, les réunions en cascade, les 70 000 km parcourus dans l'ensemble du Québec, Alexandre Cloutier a donné, effectivement. D'autant plus que pour lui comme pour Martine Ouellet, il s'agit de la seconde course en 18 mois.

D'autres choses, visiblement, lui pèsent en cette fin de course. Le regard et les critiques des médias, notamment, de certains commentateurs, qu'il se garde bien de nommer.

« J'peux-tu te dire une affaire ?, lance-t-il à brûle-pourpoint. La comparaison avec Trudeau, je ne suis plus capable ! Je ne suis pas un fils de premier ministre. J'ai toujours travaillé comme un débile, j'ai fait deux maîtrises, j'ai travaillé chez McDonald's pour payer mes études, j'ai été page à la Chambre des communes pour payer mes études universitaires. Ma vie n'a rien à voir avec la sienne ! »

Quelques chroniqueurs ont fait un rapprochement Trudeau-Cloutier ces derniers mois : beau jeune homme, jolie épouse, charmants enfants, belle famille unie... On a même dit que M. Cloutier jouait cette carte pour montrer qu'il était jeune et « nouveau » en politique.

« Oui, on a dit ça, mais certains sont allés beaucoup plus loin dans les qualificatifs, que je ne répéterai pas, mais c'est complètement déplacé », ajoute-t-il.

Parti de très loin lors de la dernière course, Alexandre Cloutier avait surpris, au point de terminer deuxième, avec 30 % des voix derrière Pierre Karl Péladeau en mai 2015. Son rôle de « challenger » était certainement plus facile que celui de meneur présumé, cette fois, et ça aussi, ça l'agace un brin. Le plus difficile, dit-il, c'est de faire connaître ses nombreuses propositions sur l'Éducation, sur la Santé, sur la Justice, sur le développement économique, notamment. Il y a eu l'été, bien sûr, période peu propice aux réels débats politiques, mais il constate aussi que les side shows (les anecdotes), les accrochages et la personnalité des candidats dans cette course prennent trop de place dans les médias.

Il y a eu, notamment, ces critiques voulant qu'il soit le « candidat de l'establishment du PQ », qui aurait souhaité un couronnement et qui fait la vie dure aux autres candidats, Lisée, Ouellet et St-Pierre Plamondon.

« C'est vrai que j'ai rallié la moitié de l'ancien Conseil des ministres, mais j'ai aussi rallié beaucoup de jeunes. » - Alexandre Cloutier

Il ajoute que sa campagne souffre aussi des tactiques des autres clans. « Prends les débats, par exemple : au début, il devait y en avoir deux ou trois officiels, reprend-il. Là, maintenant, c'est rendu que tout ce qui était prévu comme des "rencontres des candidats avec les militants" sont devenus des "débats", et si je n'y vais pas à cause de mon horaire, les autres disent aux médias : "Cloutier refuse de débattre !" »

Le jeune père de famille sportif (« Je continue de courir, mais j'y vais n'importe quand, quand je peux, à cause des horaires fous de campagne), amateur de pêche à la mouche et de champignons sauvages se défend par ailleurs d'être arrogant et parfois hautain envers ses adversaires. « Faut arrêter de m'analyser sous cet angle, je suis le même gars que l'an passé et je dis la même chose que lors de la dernière course : le Parti québécois doit changer », dit-il.

À Jean-François Lisée, qui lui reproche de ressortir des propositions faites dans ses livres, et parfois abandonnées depuis, il réplique ceci : « Je ne fais pas campagne contre Jean-François, mais Jean-François, c'est une machine à idées, et inévitablement, je vais piger dans ce qu'il a écrit dans le passé. C'est ça, débattre. »

Et à Martine Ouellet, qui lui reproche, de même qu'à M. Lisée, d'avoir voté en février pour une motion confirmant les forages exploratoires à Anticosti, cela : « N'importe quoi ! J'ai voté pour le respect du contrat avec Pétrolia, parce qu'il y a des clauses de résiliation dans ce contrat et je ne veux rien savoir du pétrole d'Anticosti. »

ENTRE DEUX CHAISES ?

Sa position référendaire provoque aussi le débat avec ses trois adversaires, qui lui reprochent de manquer de transparence et de garder « un pied dedans, un pied dehors » pour ratisser plus large chez les militants péquistes.

Cette position se résume ainsi : s'il devient chef, il évaluera le niveau de préparation de ses troupes, le niveau d'adhésion de la population au projet souverainiste et le climat politique pour décider avec les instances du PQ, six mois avant les élections d'octobre 2018, s'il s'engage ou non à tenir un référendum dans le premier mandat d'un gouvernement Cloutier.

L'an dernier, il proposait plutôt d'ouvrir un registre, remettant entre les mains des Québécois le pouvoir de décider de la tenue d'un référendum.

« Le registre, je ne l'ai pas complètement exclu, précise-t-il. Quand on aura pris la décision, six mois avant l'élection, il n'y a absolument rien qui m'empêchera d'ouvrir un registre pour créer une mobilisation populaire. C'est juste que le registre ne sera pas conditionnel. C'est exactement ce que les Écossais ont fait [avant le référendum de septembre 2014]. »

Une chose est claire, un gouvernement Cloutier, même s'il écarte le référendum dans un premier mandat, utilisera des fonds publics pour la préparation de l'indépendance, un sujet qui divise au PQ depuis des décennies.

« C'est évident, nous sommes un gouvernement souverainiste. Il y a des gestes fondateurs qui seront posés et, oui, j'utiliserai de l'argent public pour préparer l'indépendance du Québec comme les gouvernements fédéralistes dépensent de l'argent pour financer des études sur le renouvellement du fédéralisme. » - Alexandre Cloutier

Quant au possible rapprochement du PQ avec les autres partis souverainistes, Alexandre Cloutier n'« exclut rien » pour le moment (liste commune de candidats, alliance), mais pour l'instant, il s'engage simplement à leur offrir une place dans ses chantiers de préparation à l'indépendance.

Il y a aussi le débat sur l'identité québécoise, qui s'est invité de nouveau dans la course au PQ ces derniers jours. De ça, visiblement, Alexandre Cloutier n'a pas vraiment envie de parler. Le sujet a créé de la division lors de la course de 2015, en particulier lorsque M. Cloutier s'était dissocié du projet de charte du gouvernement Marois en disant qu'il était allé trop loin. L'ex-ministre responsable de la charte, Bernard Drainville, lui aussi candidat dans cette course, lui avait demandé en vain des excuses.

Cette fois, il veut passer rapidement sur le sujet. « C'est pas compliqué : c'est Bouchard-Taylor. On repart du consensus québécois, on ne présente pas une charte 3.0 », dit-il.

Un imbroglio dans ma discussion avec Jean-François Lisée m'a amené erronément à écrire, dans ma chronique d'hier, qu'il était ouvert à une collaboration électorale formelle avec Québec solidaire et Option nationale, allant jusqu'à suggérer qu'ils pourraient leur laisser la voie libre dans quelques circonscriptions. Erreur d'interprétation de ma part. En fait, M. Lisée ne parlait dans ce segment de l'entrevue que de Québec solidaire. Désolé pour la confusion.