Assis à une terrasse d'un café du Village, Jean-François Lisée explique les grands pans de son programme, interrompu fréquemment par quelques mendiants mal en point, mais aussi par des passants qui viennent lui serrer la main en lui souhaitant bonne chance.

Jean-François Lisée interpelle l'un d'eux : 

« Merci, mais avez-vous votre carte de membre pour pouvoir voter pour moi ? Comme ça, si je perds par une voix, vous ne vous sentirez pas coupable. Ça coûte seulement 5 $.

- Ah non, j'avais pas prévu ça. Comme j'avais pas prévu que vous seriez un succès ! »

On dirait que c'était arrangé avec le gars des vues, mais en fait, cela illustre bien l'« effet Lisée » dans cette course à la direction du Parti québécois. On connaissait le Lisée conseiller et rédacteur (un des meilleurs de sa génération) de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard. On connaissait le Lisée stratège cassant souvent caricaturé en cardinal de Richelieu, en Machiavel ou en Talleyrand. On connaissait le Lisée intello un peu hautain. 

Son défi, dans la présente campagne, de son propre aveu, c'est de montrer son côté « givré » et ses qualités de rassembleur.

« Ben oui, j'ai de l'humour, mais il faut que ça se sache, dit-il. Après chaque rencontre avec des militants, il y a toujours quelqu'un qui vient me dire : "Je ne savais pas que vous pouviez être aussi sympathique !" »

Un autre défi est de démontrer qu'il s'y connaît en économie, un prérequis pour être chef et, éventuellement, premier ministre.

« Je m'y connais en économie plus que le neurochirurgien qui nous gouverne, mais je reconnais que j'ai du travail à faire pour être reconnu comme une voix crédible en économie », admet-il.

Il entend combler ses lacunes en consultant un certain Pierre Karl Péladeau, au besoin, pour les grands dossiers économiques et financiers.

« C'est sûr que dans tous les dossiers qui ne touchent pas l'empire Québecor, je vais l'appeler pour lui demander son avis si je suis en train de négocier avec Bombardier ou avec quelqu'un d'autre, parce que je veux avoir dans la pièce quelqu'un qui s'y connaît autant que les gens de l'autre côté de la table. »

Il y a quatre mois, lorsque PKP a pris tout le monde par surprise en annonçant son départ, il était hors de question pour Jean-François Lisée de se présenter.

« Je sortais d'une campagne et j'en avais eu assez. Et puis, je pensais que c'était le temps pour la nouvelle génération, raconte-t-il. Mais j'y suis allé pour une raison fondamentale : il faut battre les libéraux et ne pas promettre de référendum. Il faut que quelqu'un le dise », reprend le député de Rosemont.

Pas de référendum dans le premier mandat et pas d'argent public pour la préparation du référendum, pour ne pas donner de munitions aux libéraux, voilà la position défendue par M. Lisée, qui pose un diagnostic cru sur l'état de santé de l'option souverainiste.

« Il y a pénurie d'indépendantistes au Québec. Et on a beau dire qu'il y en a 40 % dans les sondages, ça, c'est une fois les indécis répartis. Et puis, plusieurs changent d'idée chaque semaine et s'intéressent à la souveraineté autant qu'au curling. La réticence au référendum, qu'on a commencé à voir en 1998, est devenue aujourd'hui une allergie très grave. »

À ce sombre constat, Jean-François Lisée ajoute : « L'arrivée de Justin Trudeau, ça change beaucoup de choses. Le début d'un mandat de Justin Trudeau, c'est une condition défavorable. »

Jean-François Lisée mise sur le rapprochement formel des partis souverainistes (PQ, Québec solidaire et Option nationale) au prochain scrutin. À ce sujet, il va plus loin que ses adversaires dans la course à la direction. Il avait même proposé à Pierre Karl Péladeau de faire deux scénarios électoraux : un sans convergence et un autre avec convergence.

Plusieurs circonscriptions sont « prenables » si les trois partis s'unissent, notamment Verdun, Saint-Henri - Sainte-Anne et Crémazie, selon M. Lisée, qui a déjà proposé un candidat commun PQ-QS dans Verdun pour l'élection partielle à venir à la suite de la démission de Jacques Daoust.

« Je suis bien prêt à leur en laisser trois [circonscriptions] si on va en prendre plusieurs autres. C'est sûr qu'il y a du give and take là-dedans, dit-il. En 2015, j'ai été frappé d'entendre QS et ON dire qu'ils ne sont pas d'accord avec tout ce que disent le NPD ou les libéraux, mais que la priorité, c'était de se débarrasser de Harper. Maintenant, la priorité, c'est d'envoyer les libéraux dans l'opposition. »

Il exclut toutefois la formation d'un gouvernement de coalition. « Ce n'est pas désirable. Je n'envisage pas, si on est majoritaires, d'avoir des députés QS dans notre gouvernement. »

Une image «polluée»

« Jean-François Lisée, il a 10 idées par jour, mais le problème, c'est de trouver la bonne ! », disait à la blague l'ancien chef de cabinet de Jacques Parizeau, Jean Royer.

Alexandre Cloutier, qui qualifie souvent M. Lisée de « machine à idées », cueille, ici et là dans l'abondante production écrite de son adversaire depuis plus de 30 ans, des propositions controversées pour l'embarrasser. La tactique déplaît souverainement au député de Rosemont, qui accuse au surplus M. Cloutier de déformer ses propositions et même d'en inventer.

« Alexandre dit que je veux ramener une charte des valeurs 3.0 et que je veux afficher à l'entrée des édifices publics ce qu'il est permis ou non de porter pour les employés de l'État. C'est faux ! Ce sont des inventions ! », lance Jean-François Lisée, visiblement irrité.

M. Lisée affirme vouloir éliminer graduellement les signes religieux dans la fonction publique et il veut y sensibiliser les employés de l'État. Il a toutefois soulevé publiquement des questions sur l'interdiction du burkini et de la burqa, et ses adversaires le soupçonnent de vouloir rouvrir le débat identitaire à des fins stratégiques.

« Nous avons un ennemi déclaré, [le groupe] État islamique, qui recrute ici des gens pour poser des bombes. Notre seul choix est de débattre de l'interdiction de la burqa avant qu'un djihadiste s'en serve pour cacher ses mouvements pour un attentat, ou après », a-t-il écrit récemment sur sa page Facebook.

Sur les questions environnementales, Jean-François Lisée estime que l'« image du PQ, parti de l'écologie, a été polluée par le gouvernement Marois », notamment à cause d'Anticosti. Il ne se dit pas totalement opposé à l'exploitation pétrolière, mais il imposerait un processus d'approbation très strict.

« Si on trouve du pétrole et que cela permet de décroître notre empreinte écologique, et qu'il y a acceptabilité sociale, c'est possible. Mais il faudrait des conditions extraordinaires et les communautés locales auront toujours le dernier mot », dit-il.

Jean-François Lisée veut également geler la rémunération des médecins, un « tabou » qu'il veut prendre de front.

« Les deux fédérations de médecins, c'est le plus gros lobby du Québec, dit-il. Ils ont obtenu 3 milliards et ils auront encore 2,5 milliards pour 20 000 personnes. C'est la pire décision financière du siècle ! Je connais des médecins qui ont honte ! Ils disent : "Arrêtez, c'est assez !" Moi, je veux un moment de vérité avec les médecins. »

Et à ceux qui trouvent qu'il a trop d'idées, il répond : « Et encore, je me retiens ! »

Jean-François Lisée

• Né à Thetford Mines le 13 février 1958

• Député de Rosemont depuis septembre 2012

• Ministre des Relations internationales (septembre 2012 à avril 2014)

• Maîtrise en communications, Université du Québec à Montréal (1991)

• Licence en droit, Université du Québec à Montréal (1979)

Programme

• Immigration : dépolitiser la fixation du seuil en demandant au Vérificateur général de suggérer le nombre d'immigrants à accueillir au Québec

Éducation:

• Gratuité effective à l'université pour les étudiants de la classe moyenne. « Je n'ai pas de problème à ce que les plus riches payent deux fois pour l'éducation de leurs enfants. »

• Plafonner le salaire des recteurs, qui ne pourraient gagner plus que le premier ministre

• Rétablir les cours d'histoire au cégep

• Cinq chaires d'étude sur l'histoire du Québec

• CPE: « J'aimerais ça avoir un horizon de gratuité en CPE, mais ça ne se fera pas dans le premier mandat. Pour le moment, ce serait : ‟un enfant, une place de qualité" avec un incitatif pour transformer les garderies privées en CPE. »

• Loi 101 : pas d'application dans les cégeps anglophones, mais obligation pour ceux-ci d'offrir plus de cours de français