Les militants péquistes, réunis hier après-midi à la salle Maurice-O'Bready de l'Université de Sherbrooke ou rivés devant leur ordinateur pour suivre le premier débat officiel du Parti québécois, ont probablement savouré les échanges épicés entre les quatre candidats, mais jamais autant que les stratèges libéraux et caquistes.

À moins d'un mois de l'élection du successeur de Pierre Karl Péladeau, les esprits s'échauffent, et si ce débat de Sherbrooke a mis la table pour ceux de Saguenay (18 septembre), Montréal (25 septembre) et Québec (3 octobre) - en plus d'autres, dont un à Drummondville et possiblement un autre organisé par l'émission radiophonique La soirée est encore jeune -, les assiettes et peut-être même les couteaux vont voler de part et d'autre.

Une course à la direction d'un parti, c'est toujours salissant, mais cette fois, les quatre aspirants chefs sont en train de salir la moquette, au point où il faut se demander comment ils arriveront à travailler ensemble une fois la course terminée. Ensemble, entre eux, au caucus et à l'Assemblée nationale, mais aussi entre eux et leurs supporters respectifs parmi la députation. Hier, en point de presse post-débat, Martine Ouellet a carrément accusé ses collègues députés (dont aucun ne l'appuie) de s'asseoir dans la première rangée et de mener la charge contre elle, suivant ainsi une « ligne de parti » imposée par leur candidat, dans ce cas-ci Alexandre Cloutier.

Il faut dire que Mme Ouellet a passé un rude après-midi, elle qui s'est fait remettre sur le nez, par Alexandre Cloutier, le fait que c'est elle, lorsqu'elle était ministre des Ressources naturelles, qui a signé le contrat avec Pétrolia pour la prospection de pétrole à Anticosti. Le coup a porté et M. Cloutier a tourné le fer dans la plaie en ajoutant : « Martine, je veux juste te dire que je ne signerai jamais un contrat auquel je ne crois pas. »

Les échanges entre Mme Ouellet et M. Cloutier ont été vifs, mais jamais autant que ceux opposant ce dernier et Jean-François Lisée.

M. Lisée, visiblement plus à l'aise que lors du débat de la semaine dernière à l'Université de Montréal, semblait énergisé par l'appui de quatre députés au cours des derniers jours. Il a toutefois pété un plomb lorsque son adversaire a déterré une autre de ses propositions passées (abandonnée depuis), soit privatiser en partie Hydro-Québec.

Si les débats sont des révélateurs des personnalités, celui d'hier nous a montré le côté colérique et irascible de Jean-François Lisée, lui qui cherche plutôt à présenter son côté givré depuis le début de cette course.

Hors de lui, il a lancé : « Hey, t'es démagogue, Alexandre ! », dans un élan qui n'a été freiné que lorsque le modérateur a demandé aux techniciens d'éteindre le micro du député de Rosemont. Je ne sais pas combien de dizaines de débats j'ai pu couvrir dans ma carrière, mais j'ai rarement vu un accrochage aussi sévère. Et non, ce n'était pas que pour le spectacle.

Les péquistes se vantent souvent de militer au sein d'un parti qui permet, encourage même, les débats, contrairement au Parti libéral, par exemple, disent-ils. C'est vrai que le débat est vu comme une vertu au PQ, mais parfois, lorsque ça dérape, ça cause des dégâts à l'interne et ça réjouit les adversaires.

Faut-il vraiment se déchirer à ce point, dans une famille politique, pour un projet d'électrification des transports ? Pour un hypothétique train rapide ou un monorail ? Faut-il se provoquer en duel pour une ancienne déclaration, pour une proposition passée, rejetée depuis par son propre auteur ?

Les débats au PQ sont aussi tendus parce que ce parti vise plus que le pouvoir. Il porte un projet qui a du plomb dans l'aile et qui tire le parti vers le bas. Il y a les débats accessoires, mais c'est la raison d'être même du PQ qui est en cause, encore une fois, dans cette course à la direction. Les échanges sur le sujet sont d'ailleurs symptomatiques de l'impasse dans laquelle est coincé le PQ.

Lorsque, par exemple, les adversaires d'Alexandre Cloutier lui reprochent haut et fort d'entretenir le flou sur la démarche référendaire ou de conduire son parti vers un « traumatisme » ou une « chicane historique » (dixit Jean-François Lisée), ce sont les libéraux qui rient dans leur barbe.

Lorsque, autre exemple, ce même Jean-François Lisée fait la démonstration (convaincante, en plus) que les Québécois ne veulent même pas entendre le mot référendum et qu'il est plus difficile de les convaincre d'en organiser un que de le gagner, libéraux et caquistes se frottent les mains. Quelle aubaine ! Le stratège Lisée, le grand penseur du PQ, affirme que son parti ne peut gagner en promettant un référendum, tout en disant qu'il veut toujours faire l'indépendance du Québec.

Il est d'ailleurs surréaliste (« drôle », a dit Paul St-Pierre Plamondon, hier) d'entendre les militants du PQ frémir lorsque le modérateur d'un débat entre aspirants chefs annonce qu'on parlera de... souveraineté. Si Gilles Gougeon (le modérateur en question) avait dit que les candidats allaient maintenant jongler avec des haches en crachant du feu, la réaction de la foule n'aurait pas été différente.

Ce que le débat de Sherbrooke a surtout démontré, c'est que cette course est ouverte. Ça se sentait dans la salle et on le voyait aussi sur la scène : aucun candidat ne se ménage, contrairement à la dernière course, où les adversaires de Pierre Karl Péladeau n'osaient pas vraiment l'attaquer de front.

On sent que, malgré les sondages et malgré l'idée largement répandue selon laquelle Alexandre Cloutier mène, il n'y a pas de favori indélogeable dans cette course.