Les images colligées dans la vidéo publiée dans le numéro d'hier de La Presse+ racontent dans le détail, en 3 min 19 s, tout ce qui s'est passé sur l'A40 après l'impact entre deux poids lourds, dont le camion-citerne qui a pris feu.

Tout, de la tentative de sauvetage du chauffeur aux premières flammes, aux explosions, à l'angoisse grandissante des témoins, au panache de fumée, au branle-bas des pompiers à... l'arrivée du maire Denis Coderre.

Celui-ci arrive en marchant, l'air grave, pendant qu'on le « briefe » sur l'accident. Il s'approche du chef des pompiers, lui dit quelques mots, lui serre la main et lui donne une petite tape amicale sur l'épaule. Du Denis Coderre pur jus.

Cette scène est accessoire, diront certains. D'autres reprocheront à celui qu'on a surnommé Kid Coderre il y a près de 20 ans sur la colline du Parlement à Ottawa de se mettre en scène, de prendre toute la place et de monopoliser l'attention. Prenons l'affaire à l'envers : supposez que le maire ne se soit pas déplacé sous la Métropolitaine, hier en fin d'après-midi, qu'il ait mis plusieurs heures à réagir ou, pire encore, qu'il se soit contenté d'envoyer un communiqué pour dire que la situation était maintenant contenue. On ferait la file aujourd'hui pour lui taper dessus, et l'opposition à l'hôtel de ville aurait des raisons légitimes de remettre en question son leadership.

Le suivi et les enquêtes nous éclaireront sur la qualité de la réponse des secours et des autorités (aurait-on dû évacuer les immeubles environnants et éloigner plus rapidement les badauds qui regardaient la scène du boulevard Crémazie ?). Le fait est, toutefois, que dans le grand livre de l'art de la gestion de crise, Denis Coderre a fait depuis mardi 16 h exactement ce qui est prescrit : présence physique, ton rassurant et empathique, mise en place d'un plan d'action.

L'histoire politique est truffée d'épisodes peu glorieux, ici et ailleurs, d'élus qui n'ont pas su prendre la juste mesure d'une crise et qui, de fait, n'ont pas su réagir adéquatement.

Pensons, évidemment, à l'ancien maire de Montréal Jean Doré, qui avait suivi de loin, en vacances, les inondations sur l'autoroute Décarie. En toute justice pour feu Jean Doré, son retour précipité n'aurait sauvé aucune vie, mais la présence des élus en temps de catastrophe a une valeur symbolique. Dans le même esprit, on avait reproché à Pauline Marois, ministre de la Santé dans le gouvernement Bouchard, d'être en vacances au Mexique au moment où les salles d'urgence du Québec débordaient (encore une fois).

On a par ailleurs reproché à Stephen Harper son indifférence envers les sinistrés du Richelieu, en 2011, et plusieurs ont critiqué les égoportraits de Justin Trudeau au G20 en Turquie, en novembre dernier, au lendemain des attentats de Paris.

Au département des bides politiques célèbres : l'ancien maire de Toronto Mel Lastman, en panique en direct à la télévision et implorant l'armée d'intervenir pour libérer sa ville... des 10 cm de neige tombés la nuit précédente ! Imaginez si ce pauvre Mel avait été dans les souliers de la mairesse de Lac-Mégantic Colette Roy-Laroche en juillet 2013...

D'autres leaders ont mieux réussi. Le cas type est celui de l'ancien maire de New York Rudy Giuliani marchant dans les ruines encore fumantes des tours jumelles. Au Québec, tous se souviennent de Lucien Bouchard (et d'André Cailler et son fameux col roulé) pendant la crise du verglas, une démonstration de leadership exemplaire.

Dans une affaire d'une gravité et d'une importance incomparables avec les histoires précédentes, pourquoi pensez-vous que la Maison-Blanche s'est empressée, en mai 2011, de publier la photo de Barack Obama, portant un blouson militaire, avec l'état-major de l'armée en pleine nuit, dans la salle où il suivait (et dirigeait) en direct l'attaque fatale contre Ben Laden, à plus de 11 000 km, au Pakistan ? Dans l'imaginaire américain, la qualité du leadership du « commandant en chef » se mesure à sa présence et à sa réaction lorsque la sécurité du pays est en jeu.

Dans la même veine, rappelez-vous l'air ahuri de George W. Bush, assis au milieu d'une classe d'enfants en Floride, lorsqu'un conseiller lui a appris, en chuchotant à son oreille, que les tours du World Trade Center venaient d'être attaquées.

Autre boulette mémorable de W : son interminable temps de réaction après la dévastation de Katrina en Louisiane. Après des jours d'attente, il s'était finalement rendu sur place, se contentant toutefois de survoler la région inondée qu'il voyait à travers les hublots d'Air Force One.

LE « VRAI » PROBLÈME

On peut toutefois se compter chanceux que cet accident spectaculaire n'ait pas fait plus de victimes et de dégâts. Comme l'a dit hier le ministre des Transports, Jacques Daoust, ce camion aurait pu transporter de l'acide ou toute autre matière encore plus dangereuse. Vous imaginez des vapeurs de chlore qui entrent dans les conduits d'aération d'un immeuble de bureaux bondé...

Ce n'est pas rassurant d'entendre cela de la bouche du ministre des Transports, mais c'est la réalité : au Québec, plus de 70 % des matières dangereuses sont transportées par camion, et les quantités transportées ne cessent d'augmenter.

Cet accident de l'A40 démontre surtout notre dépendance au transport par route et notre vulnérabilité.

C'est quelque chose qu'on préfère ne pas voir et dont on n'aime pas parler, comme s'il s'agissait d'une fatalité, mais mardi, à 16 h 30, sur la Métropolitaine, ça crevait les yeux.