À peine 10 minutes.

C'est tout ce qu'il aura fallu à Stephen Harper pour tourner définitivement la page sur près de 10 ans de règne à la tête du Canada.

Tout le monde sait que l'ex-chef du Parti conservateur n'est pas du type sentimental. Il en a donné une autre preuve, jeudi soir, en ouverture du congrès conservateur de Vancouver.

Après avoir quitté son poste, le 19 octobre dernier, sans même le dire clairement aux Canadiens, M. Harper a dit adieu aux militants conservateurs en dressant un bilan éclair de son passage au pouvoir.

Au même moment, au Japon, le nouveau premier ministre, Justin Trudeau, vantait devant les grands leaders de ce monde les vertus des dépenses massives de fonds publics pour relancer l'économie des pays industrialisés. Pas de doute, l'ère Harper est bel et bien terminée.

Mais avant de tourner la page, que reste-t-il de cette ère conservatrice ? Que reste-t-il de Stephen Harper ?

On croyait, après quelques années du régime Harper (surtout après son mandat majoritaire), qu'il avait encastré ses réformes politiques et fiscales dans un bloc de béton armé, mais à voir à quelle vitesse le gouvernement Trudeau détricote l'héritage Harper, cela ressemble plus à une courtepointe aux coutures bien lâches.

La principale réalisation de Stephen Harper reste l'union des forces politiques de droite, son premier succès obtenu il y a près de 15 ans, et que beaucoup jugeaient irréalisable.

Cet homme fade, effacé même, qui « a autant de charisme qu'une table à pique-nique », pour reprendre l'expression de son ancien conseiller et ancien député conservateur André Bachand, a réussi à reformer un Parti conservateur solide en ramenant à bord les réformistes de l'Ouest et les « red tories » de l'Ontario. Il a même fait des gains, modestes, certes, mais des gains tout de même, au Québec. Il laisse son parti en bonne posture à Ottawa avec près de 100 députés soutenus par un bon réseau et une organisation forte.

Voilà pour la machine conservatrice. Mais qu'a laissé cette machine dans son sillon depuis 2006 ?

Fiscalement, le gouvernement Trudeau est en train de défaire l'héritage conservateur en haussant les impôts des plus riches, en abaissant le plafond du CELI et en modifiant profondément l'aide directe aux parents. La prudence budgétaire ? Pouf ! Disparue, nous voici entrés dans l'ère des déficits !

Une mesure reste (et restera), toutefois : la TPS à 5 % (qui était à 7 % au début de l'ère Harper), la pièce de résistance du régime fiscal de Stephen Harper. Aucun parti n'a proposé de rehausser la taxe maudite, qui constitue pourtant une source d'argent facile pour un gouvernement en manque de revenus.

Les changements apportés au financement des partis politiques, pourtant décriés par tous les partis adversaires du Parti conservateur, sont là, aussi, pour de bon. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, Stephen Harper a abaissé le montant maximum des dons des individus aux partis politiques (Jean Chrétien avait interdit les dons des entreprises au début des années 2000), puis il a mis fin à la subvention annuelle de l'État pour chaque vote obtenu par les partis politiques aux élections générales. M. Harper a contribué, en ce sens, à l'assainissement des moeurs politiques et il a forcé les partis à migrer vers le financement populaire.

Je me souviens d'une conversation avec Justin Trudeau, avant qu'il ne devienne chef du PLC, qui me disait que le Parti libéral, comme les autres, allait devoir modifier son approche de financement, mais que cela était, finalement, une bonne chose.

On ne peut faire le bilan des années Harper sans parler de trois secteurs « chauds » : les relations internationales, l'environnement et la lutte contre la criminalité.

L'incapacité du Canada à obtenir un siège au Conseil de sécurité de l'ONU et le parti pris en faveur d'Israël restent, aux yeux des détracteurs de l'ancien premier ministre, des taches indélébiles sur son bilan.

En environnement, l'enterrement de première classe du protocole de Kyoto, qui n'était déjà pas fort sous le régime libéral précédent, a aussi marqué les esprits. Idem pour le relâchement des mesures de contrôle et du processus d'évaluation des projets énergétiques.

Quant à la lutte contre la criminalité, le gouvernement Harper a essuyé de nombreux revers devant les tribunaux, y compris devant la Cour suprême, et il ne restera plus grand-chose de son héritage en la matière dans quelques années.

Dans un autre domaine, Stephen Harper part en laissant le Sénat exsangue, entaché et même ridiculisé, lui qui avait pourtant promis de le réformer.

M. Harper s'est targué, par ailleurs, d'avoir contribué au déclin du mouvement souverainiste au Québec. Est-ce vrai ? Le siège à l'UNESCO est un symbole important, mais hors de la bulle politique, est-ce si important pour le commun des mortels ? J'en doute.

Et la reconnaissance de la nation québécoise ? Encore là, c'est un geste symbolique important, mais si le mouvement souverainiste a vraiment perdu des plumes à cause de cela, c'est qu'il est très affaibli.

Symboliquement, M. Harper s'est rapproché du Québec, certes, mais politiquement, il a poussé le Canada très loin des valeurs consensuelles des Québécois, sans que cela semble altérer leur attachement au Canada. Le peu d'appétit des Québécois pour l'indépendance explique sans doute ce phénomène davantage que les actions de l'ex-premier ministre.

Reste le style Harper, autoritaire, froid, hostile à l'opposition sous toutes ses formes et aux médias. De ça, que reste-t-il ?

Regardez Justin Trudeau et écoutez ce que les conservateurs eux-mêmes en disent, et vous aurez votre réponse.