Jean-François Lisée, qui a fait preuve d'une lucidité implacable sur l'état réel du Parti québécois et de son option depuis la défaite d'avril 2014, sait sans doute qu'il ne jouit pas des appuis politiques pour gagner cette nouvelle course à la direction du PQ.

Quiconque a suivi son cheminement au sein de ce parti depuis 20 ans peut toutefois facilement comprendre qu'il était pour lui insupportable de rester une fois de plus sur les lignes de côté.

Je dis une fois de plus, parce que l'an dernier, il s'était désisté très tôt dans la course, après être arrivé à la conclusion que Pierre Karl Péladeau avait d'ores et déjà gagné, ce en quoi il ne s'était pas trompé. Il avait aussi prédit, clairvoyant, que les militants du PQ voulaient « vivre leur moment Péladeau ». Du coup, nous avions été privés de l'apport intellectuel de cet empêcheur de tourner en rond, qui mettait les péquistes en garde, deux semaines avant de se retirer, contre les risques des « périls de l'optimisme » liés à l'arrivée de PKP sur la scène politique.

Voici un passage : « L'engouement pour notre collègue Pierre Karl, dans le parti et dans l'électorat péquiste, est indéniable. Un sondage montrait même qu'avec lui comme chef, le PQ pourrait reprendre le pouvoir, mais avec 36 % des voix. Pour plusieurs, cela dispose du débat. La capacité de mobilisation de Pierre Karl serait la réponse à nos problèmes. Pourtant, il y a 10 ans, André Boisclair récoltait au moment de sa campagne au leadership un appui plus important encore. La suite est connue. »

Personne, au PQ, n'a eu, à cette époque très récente, la franchise de poser publiquement un tel diagnostic. Pourtant, Jean-François Lisée n'était pas le seul à entretenir des doutes sur les capacités réelles de PKP à s'adapter au monde politique et à diriger le Parti québécois. Il a été le seul, aussi, à s'inquiéter publiquement de la situation de M. Péladeau, actionnaire de contrôle de Québecor, même si en privé, d'autres au PQ se disaient mal à l'aise devant ce fait inusité.

Ces sorties ont assurément provoqué quelques inimitiés profondes entre le nouveau chef et lui, mais il a su par la suite reprendre sa place au sein du caucus, défendant notamment l'école publique et dénonçant avec efficacité les compressions du gouvernement libéral dans les services sociaux.

En se retirant, Jean-François Lisée s'est emmuré dans un devoir de réserve qui aura laissé les observateurs sur leur faim. Il y a eu, bien sûr, Pierre Céré, qui a brassé un peu la cage, mais pour reprendre le classement dénoncé par Pierre Lapointe, M. Céré est un « C » alors que M. Lisée est un « A ».

Jean-François Lisée s'exprime parfois avec cette superbe que plusieurs prennent pour de l'arrogance, ce qui explique en grande partie l'absence d'appui parmi ses collègues du caucus du PQ.

Le député de Rosemont est aussi, depuis des années, un prolifique producteur d'idées, certaines controversées, qui ont été colligées dans des livres et qui risquent de ressortir dans cette course.

En 2007, dans son livre intitulé Nous (portant sur les accommodements raisonnables et les débats identitaires), il suggérait, notamment, de faire de la connaissance du français un préalable pour se présenter aux élections scolaires ou municipales. Il revient aussi dans ce bouquin sur l'adoption d'une citoyenneté québécoise.

Dans Sortie de secours, publié en 2000, il reprenait à son compte l'idée de référendums sectoriels, plutôt que d'un référendum sur la souveraineté, question d'arracher des morceaux d'autonomie à Ottawa.

Puis, dans un livre sur les 20 ans du référendum de 1995 publié l'automne dernier, Jean-François Lisée propose d'imposer aux nouveaux immigrants d'être officiellement canadiens depuis au moins un an avant de pouvoir voter à un éventuel référendum sur la souveraineté du Québec. Dans un passage machiavélique (un adjectif qui revient souvent avec M. Lisée) de ce bouquin, le député de Rosemont et ex-conseiller de Jacques Parizeau et Lucien Bouchard admet sans détour que l'idée est clairement de se faire dire non par Ottawa, ce qui ne manquerait pas de faire des remous au Québec. Du Lisée pur jus.

M. Lisée, en effet, a toujours été reconnu bien plus pour ses talents de conseiller et d'homme de l'ombre que pour ses aptitudes naturelles à rassembler ou à diriger un parti. En se lançant cette fois, il fait toutefois table rase des stratagèmes : il propose de mettre le référendum en veilleuse jusqu'en 2022 et de préparer le PQ à chasser les libéraux en 2018 pour devenir simplement un bon gouvernement, et même, c'est lui qui le dit, « un ostie de bon gouvernement ».

Bref, PKP voulait « faire du Québec un pays » ; JFL, lui, propose de faire du PQ un gouvernement.

Son approche carbure au gros bon sens (les Québécois ne veulent pas de référendum et n'en voudront pas plus dans deux ans), mais les péquistes qui désespèrent de « voir le pays » n'apprécieront pas cette approche étapiste.

On lui reprochera aussi sans doute de faire de la « stratégie ouverte » en repoussant le référendum en 2022. Les critiques de ses trois adversaires, Véronique Hivon, Martine Ouellet et Alexandre Cloutier, dès hier, démontrent clairement que son approche dérange.

L'arrivée de Jean-François Lisée change la dynamique de cette course. Ceux qui pensaient en faire un concours de personnalités devront se résigner à débattre avec un adversaire qui a toujours pensé qu'il est plus important d'avoir raison que d'être populaire.