Il était tôt, en ce dimanche matin du début avril, lorsque Hans Marotte est sorti de son hôtel du centre-ville d'Edmonton pour se rendre au congrès du NPD, au centre de conférence Shaw, là où devait se tenir plus tard dans la journée le vote sur l'avenir de Thomas Mulcair.

Une dizaine de délégués néo-démocrates albertains représentant les syndicats locaux qui discutaient dans le hall de son hôtel ont alors interpellé M. Marotte, un délégué bien en vue du Québec, qui allait incidemment devenir vice-président du parti plus tard ce jour-là.

Ils voulaient lui parler de la situation économique en Alberta en vue de certains votes sur des résolutions au congrès, m'a raconté M. Marotte, un sympathique colosse au sourire franc et au verbe imagé.

« Ça fesse, quand un gars te dit qu'il vient de perdre sa maison et qu'un autre te dit qu'il vient de perdre sa job. Ils cherchent à travailler avec le Québec, il veulent sortir de la dynamique des maudits Québécois qui bloquent le pétrole sale des maudits Albertains. Ils veulent qu'on reconnaisse leur apport à l'économie canadienne. »

Pour ces délégués du monde syndical albertain, le manifeste Un bond vers l'avant (Leap), défendu par l'aile gauche du NPD et qui prône notamment le sevrage du pétrole d'ici 2030, est une véritable gifle. Pour la première ministre Rachel Notley aussi.

Les milliers de travailleurs albertains habitués à faire de l'argent, beaucoup d'argent même, dans l'industrie pétrolière sont les premières victimes de l'effondrement aussi brusque que brutal des prix de l'or noir. Du coup, la province, qui tirait jusqu'à récemment 20 % de ses revenus de cette industrie, en arrache aussi et appelle à l'aide.

« Les Albertains ont déjà vu les cycles, ils ont déjà vu les hauts et les bas, mais cette fois, c'est très bas, très rapide et ça dure très longtemps, dit un conseiller de la première ministre Notley.

« Le défi, pour nous, reprend-il, c'est que nous avons besoin d'aide, et les Albertains ne sont pas habitués à demander de l'aide. »

Mme Notley, qui a rencontré le premier ministre Justin Trudeau cette semaine, à Kananaskis, à l'occasion d'une retraite fermée du cabinet fédéral, demande d'abord des assouplissements à l'assurance-emploi, trop restrictive, selon elle. Seulement 40 % des chômeurs albertains sont admissibles à l'assurance-emploi, plaide le gouvernement albertain. C'est le cas, notamment, à Edmonton, la capitale, qui semble épargnée en raison de la concentration de fonctionnaires, mais qui, dans les faits, est aussi gravement touchée.

Edmonton n'est pas aussi morne qu'elle l'a déjà été. Au centre-ville, plusieurs nouveaux restaurants intéressants ont ouvert ces dernières années. C'est plus jeune, plus trendy, on voit plusieurs grues et des chantiers, notamment des tours de condos en construction autour du nouvel amphithéâtre des Oilers dans l'Ice District.

Tout cela est trompeur, me dit un conseiller très près de Rachel Notley. Il y a deux ans, les liquidités disponibles pour des investissements privés en Alberta (notamment dans le secteur énergétique) se chiffraient à 140 milliards. Aujourd'hui, ce n'est plus que 60 milliards.

Au cours de la dernière décennie, la population de l'Alberta a augmenté d'un million de personnes, attirées par une économie florissante. Mais depuis 14 mois, le taux de chômage a doublé, laissant des centaines de milliers de personnes sans emploi avec, le plus souvent, des loyers ou des hypothèques beaucoup trop élevés pour leurs moyens.

La province n'échappe pas au marasme : il y a deux ans, elle tirait 9 milliards de revenus des redevances du pétrole, Cette année, ce sera... 1,4 milliard. Dans son budget déposé il y a quelques jours, le gouvernement Notley a dû se résigner à annoncer un déficit de 10 milliards.

« Nous devons nous sortir du "piège albertain", me dit un proche de Mme Notley. Pendant des décennies, les gouvernements conservateurs ont tout misé sur le pétrole, que nous vendons à un seul client, le Texas, qui décide du prix du baril. Tout ça pour baisser les impôts. Mais c'est un leurre. C'est comme financer un ménage avec l'argenterie de la famille ! »

Dans les années 70, la Norvège s'est inspirée de ce que faisait l'Alberta de Peter Lougheed, reprend ma source. « La Norvège a engrangé 900 milliards avec son pétrole. Nous, c'est 18 milliards... »

La clé, pour le régime Notley, c'est la diversification : développer d'autres secteurs de l'économie, mais d'abord, pour y arriver, trouver de nouveaux marchés pour le pétrole albertain. D'où l'appel à l'aide au Québec.

Ce n'est pas un hasard si, à peine deux mois après son élection, en mai dernier, Rachel Notley a rendu visite à Philippe Couillard à Québec, sa première sortie officielle.

Le gouvernement Notley est bien conscient de la résistance au projet de pipeline Énergie Est et il prévoit une opération charme au Québec dans les prochains mois. Quelques ministres qui parlent un peu français, dont la ministre de l'Environnement Shannon Phillips, viendront donc vanter leur plan au Québec.

« Je suis au courant de ce qu'a dit Denis Coderre, dit Mme Phillips. C'était mesquin et à courte vue, mais mon but est de parler à tous les Québécois, pas juste à Denis Coderre. »