La relation compliquée entre Thomas Mulcair et le NPD connaîtra un nouvel épisode ce matin, peut-être même le dernier, lorsque les militants se prononceront par vote secret sur la pertinence de tenir une course à la direction. Mais peu importe le résultat, ils repartiront d'Edmonton déçus et démoralisés.

Juste avant le vote, Thomas Mulcair aura une dernière occasion, lors d'un discours d'une trentaine de minutes, de convaincre les délégués néo-démocrates de lui accorder une seconde chance malgré les résultats désastreux de la dernière campagne électorale.

Bien malin qui pouvait, hier, en arpentant les corridors du centre des conférences d'Edmonton où fourmillaient les militants, prédire l'issue de ce vote, mais le malaise était palpable.

Parmi les centaines de délégués croisés, j'en ai vu seulement deux ou trois qui portaient le macaron « NPD-Thomas Mulcair ».

Ceux, nombreux, qui affichaient leurs couleurs s'en tenaient à l'orange caractéristique du NPD, sans y accoler le nom de leur chef. Pas une seule affiche du chef, pas de partisans bruyants avec des t-shirts et des casquettes à son effigie.

C'est là qu'en est le NPD, six mois après la débâcle d'octobre, et c'est de ça que discutaient les militants entre eux : garder ou non M. Mulcair, un chef qu'ils respectent, mais pour qui ils n'éprouvent pas vraiment d'attachement. En fait, c'est comme si la greffe n'avait jamais pris.

« C'est pas compliqué, il y a trois groupes, a résumé un candidat battu au Québec aux dernières élections : il y a les Anybody but Mulcair (n'importe qui sauf Mulcair), il y a ceux qui l'appuient et, plus nombreux, ceux qui veulent le garder pour le moment, mais pas nécessairement jusqu'aux élections de 2019. »

S'il gagne son pari aujourd'hui, Thomas Mulcair n'est pas nécessairement assuré de diriger ses troupes en 2019. Pour bien des militants rencontrés hier, ce sera plutôt un genre de « probation », une année ou deux de plus, sans garantie que le contrat sera renouvelé, comme un employé surnuméraire qui occupe un poste temporairement.

« En fait, bien des gens ici sont encore sous le choc du résultat des élections et ils ne sont pas prêts à repartir dans une course à la direction tout de suite, reprend le candidat battu. En plus, on est déjà endettés et on ferait notre course en même temps que les conservateurs. »

La solution, pour beaucoup, ce serait de garder M. Mulcair pour le moment et de réévaluer sa position, selon les sondages, notamment, dans un an ou deux. De toute façon, disent-ils, il y aura nécessairement un autre vote de confiance en 2018.

Dire que l'ambiance de ce congrès est maussade, déprimante même pour certains délégués, est un euphémisme.

Les néo-démocrates sont réunis à Edmonton dans l'honneur, mais sans aucun enthousiasme. L'honneur de revendiquer leurs racines néo-démocrates, surtout en Alberta, où le NPD de Rachel Notley a été élu à la tête d'un gouvernement majoritaire il y a 11 mois.

Mais pour l'enthousiasme, on repassera.

La phrase clé parmi les délégués, hier, était : « J'attends d'entendre le discours de Mulcair demain [aujourd'hui] avant de prendre ma décision. » Vraiment ? ai-je demandé à un militant de longue date du Québec. Près de quatre ans après son élection à la tête de votre parti et six mois après les élections, vous attendez un discours de 30 minutes pour décider ?

« La réalité, m'a-t-il répondu, c'est que moi comme bien d'autres ici, on ne veut pas garder Mulcair, mais on ne veut pas de course à la direction maintenant. On pourra toujours le pousser vers la sortie plus tard. Pour le moment, on peut lui passer le message autrement. »

Ce militant de longue date, qui était là bien avant Jack Layton, lors des années sombres du NPD, n'a pas apprécié les « courbettes », le mot est de lui, de Thomas Mulcair, récemment, pour prouver sa foi néo-démocrate. « Il y a eu les déclarations devant les Métallos, la semaine dernière, mais Mulcair a aussi fait des téléphones à des membres à qui il n'avait jamais parlé au cours des quatre dernières années. C'est trop peu, trop tard et ça fait fake. »

Les manoeuvres des derniers jours de Thomas Mulcair en ont irrité plus d'un. « Il en fait beaucoup, ces temps-ci, mais ce n'est pas naturel, les gens le voient bien », dit un autre candidat malheureux aux dernières élections.

Hier, 24 heures avant que ses troupes ne se prononcent sur l'avenir de M. Mulcair, le « plancher » des 70 % d'appuis généralement considéré comme « acceptable » au NPD ressemblait davantage à du sable mouvant qu'à du roc.

Des militants et des députés battus, qui se disaient favorables au chef ou ambivalents jusqu'à hier, ont décidé de le larguer.

Même chez les députés québécois, officiellement tous rangés derrière M. Mulcair, certains m'ont dit vouloir voter pour une course à la direction.

Malheureusement pour Thomas Mulcair, ce congrès crucial a lieu à Edmonton, ce qui cause deux problèmes. D'abord, la présence et le discours très remarqués (le meilleur moment du congrès, en fait) de la première ministre Rachel Notley ont fait ombrage à M. Mulcair. Ensuite, le plaidoyer de Mme Notley pour le pipeline Énergie Est, projet qui sème la division au sein du NPD, oblige Thomas Mulcair à appuyer ce projet, au risque de s'aliéner les militants du Québec, sa base naturelle.

Hier après-midi, les nombreuses ovations debout offertes à Mme Notley pendant son discours laissaient peu de doute sur son niveau d'appuis dans ce congrès.

Coincé entre les militants du Québec et de la Colombie-Britannique, hostiles aux pipelines, et ceux de l'Alberta, très nombreux à Edmonton, M. Mulcair se retrouve aussi coincé à gauche, par l'aile socialiste, qui réclame carrément l'abandon du pétrole.

« C'est pas la quadrature du cercle, mais pas loin », résume le député de Rimouski, Guy Caron, un rare délégué à afficher ouvertement son appui à Thomas Mulcair hier.

Comble de malchance pour M. Mulcair, le congrès votera ce matin sur la proposition d'étudier un manifeste intitulé Leap (Un grand bond vers l'avant, en français), un texte appuyé par Stephen Lewis, Naomi Klein, David Suzuki et Maude Barlow, qui prône le sevrage au pétrole et un virage résolument à gauche.

À Edmonton, c'est comme si le curé vantait les vertus de l'Antéchrist en chaire, le dimanche matin.