Le ministre Sam Hamad a beau dire que cette histoire de courriels compromettants mise au jour par l'émission Enquête est un « pétard mouillé », quiconque a suivi la scène politico-juridico-policière depuis une douzaine d'années associera plutôt le nom de Marc-Yvan Côté à une matière radioactive dont il vaut mieux se tenir loin.

Accusant les journalistes de Radio-Canada de faire des amalgames et des insinuations sur le sens des nombreux courriels de Marc-Yvan Côté évoquant une « aide » et des rapports avec lui, M. Hamad affirme qu'il n'a fait que son travail en « poussant un bon projet » pour la région de Rivière-du-Loup.

Il s'agissait peut-être d'un bon projet ; après tout, Premier Tech est une entreprise respectée dans un domaine de pointe, mais que faisait donc M. Hamad dans le dossier, lui qui était, au début de l'histoire, ministre de l'Emploi, puis ministre du Travail ? De plus, il était ministre responsable de Québec, pas du Bas-du-Fleuve.

La réponse à cette question se trouve dans un des courriels de Marc-Yvan Côté, qui écrit à un gestionnaire de Premier Tech que Sam Hamad est au comité du Trésor, ce qui n'est pas le cas de tous les ministres.

Un ami bien placé, quoi, qui n'hésitait pas à faire des appels à Investissement Québec ou à son collègue du Développement économique, Clément Gignac à l'époque, pour « pousser » les projets, et qui se rapportait fidèlement à M. Côté comme un louveteau à son chef scout.

Le simple fait que Sam Hamad réponde au doigt et à l'oeil à Marc-Yvan Côté est déjà troublant. Qu'il l'ait fait, en plus, après le témoignage dévastateur de ce dernier devant la commission Gomery, après qu'il a été éjecté du Parti libéral du Canada et qu'il fut devenu persona non grata dans les milieux politiques québécois démontre bien les solides liens qui unissaient MM. Côté et Hamad.

Hier, M. Hamad a dit avoir coupé les ponts avec Marc-Yvan Côté en 2012, après sa comparution devant la commission Charbonneau. Apparemment, les aveux, autrement plus graves, de Marc-Yvan Côté devant la commission Gomery, sept ans plus tôt, n'avaient pas fourni à Sam Hamad des motifs suffisants pour se tenir loin de ce récidiviste de la magouille politique.

Avant d'entrer au cabinet Couillard, en avril 2014, tous les candidats à un poste de ministre sont passés au « confessionnal » devant l'état-major du premier ministre et ont dû montrer patte blanche. Les liens professionnels, politiques et amicaux entre Sam Hamad et Marc-Yvan Côté étaient connus de tous à Québec.

Cela, en soi, n'est pas une preuve de culpabilité, évidemment, mais s'est-on suffisamment intéressé, dans l'entourage du premier ministre, à la nature des contacts entre les deux hommes ?

Pendant la campagne électorale du printemps 2014 et au moment de former son Conseil des ministres, Philippe Couillard a dû répondre à des questions sur la probité de M. Hamad, qu'il a toujours défendu bec et ongles, mettant en garde les médias et les partis de l'opposition contre les amalgames, justement, et contre la culpabilité par association.

Le lourd silence du premier ministre, hier, qui n'est pas sorti sur la place publique pour défendre son président du Conseil du trésor, doit-il être interprété comme un appui tacite ou, au contraire, comme un profond malaise ?

Chose certaine, le premier ministre Couillard ne peut rester muet ou se cacher derrière l'enquête du commissaire à l'éthique. Pas après la commission Charbonneau (et quoi qu'en pense le commissaire Renaud Lachance). Pas après l'arrestation de l'ex-vice-première ministre, Nathalie Normandeau avec, entre autres, Marc-Yvan Côté.

Est-ce acceptable, selon M. Couillard, de recevoir et d'accepter des demandes (« commandes » serait peut-être un mot plus approprié) d'un collecteur de fonds qui fait des pressions pour une entreprise dont il est gestionnaire sans même s'enregistrer au registre des lobbyistes ? Est-ce qu'il tolérerait une telle chose dans son gouvernement ?

Marc-Yvan Côté ne s'est pas caché d'avoir ses entrées à Québec. Il l'a expliqué clairement devant la commission Charbonneau.

« Il est évident que si j'avais besoin d'information, j'étais capable d'avoir une information », a-t-il dit, faisant surtout référence à Bruno Lortie, ancien chef de cabinet de la ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau.

Et puis, M. Côté ajoutait : « Toutes les informations publiques du gouvernement ne sont pas sur internet. » Non, en effet, d'où l'importance d'avoir un « ami » comme Sam Hamad, bien placé et, surtout, bien disposé.

Les méthodes de M. Côté sont connues. La question est de savoir si Sam Hamad a partagé, avec des gens très intéressés, des informations venant de délibérations secrètes du Conseil des ministres et s'il a utilisé son pouvoir auprès de ses collègues et de certaines instances du gouvernement pour « pousser » des « bons projets » pilotés par son ami Côté.

Les ramifications de cette histoire sont nombreuses : Sam Hamad et Marc-Yvan Côté, évidemment, mais aussi Jacques Daoust, actuellement ministre des Transports, qui était à l'époque à la tête d'Investissement Québec, société visée par les efforts de Premier Tech pour obtenir de l'aide financière. Même le premier ministre Charest s'était rendu à Rivière-du-Loup pour l'attribution de la subvention. Il n'est pas fréquent de voir un premier ministre assister personnellement à l'annonce d'une subvention de 8 millions.

Rappelons aussi que Marc-Yvan Côté a admis avoir participé à des activités de financement pour Philippe Couillard alors qu'il était ministre.

Il ne suffit pas de dire, comme le fait M. Couillard, que le PLQ a changé, qu'il s'est refait une virginité, comme le nouveau propriétaire d'un casse-croûte le long de l'autoroute accroche une banderole « Nouvelle administration » devant son commerce.

Le moins que puisse faire M. Couillard, dans l'immédiat, c'est de suspendre le ministre Hamad et d'exiger des explications autres que « c'est des amalgames » ou « je n'ai rien fait de mal ».