En roulant jeudi matin vers Québec, je ne savais plus trop vers quel palais me diriger: celui des congrès ou celui de la justice?

Dire que la présentation du troisième budget Leitao a été assombrie par les arrestations faites par l'UPAC jeudi matin est un euphémisme. Même dans la bulle étanche du huis clos budgétaire, qui ressemble habituellement à un séminaire d'étudiants en économie, les discussions bifurquaient presque immanquablement vers les noms de Nathalie Normandeau et de Marc-Yvan Côté, vers les affaires de financement illégal et, surtout, sur leur impact sur le gouvernement Couillard.

La présence à la table de la conférence de presse du ministre Carlos Leitao de son collègue président du Conseil du trésor, Sam Hamad, ancien vice-président de Roche, n'arrangeait rien pour les libéraux.

C'est avec un sourire crispé que M. Hamad a esquivé les questions concernant l'affaire du jour. «Je ne vais certainement pas commenter des histoires qui sont devant la cour et j'espère que vous êtes ici pour diffuser la bonne nouvelle et pour parler du budget», a-t-il répondu à deux reprises. Ses collègues Carlos Leitao et Dominique Anglade se sont bien gardés de rajouter quoi que ce soit sur le sujet.

Isolé du monde extérieur pendant quelques heures dans le huis clos du budget, il était impossible de mesurer l'ampleur de la déflagration, mais sitôt le contact rétabli avec le vrai monde, on a pu constater les dégâts.

Que l'UPAC choisisse précisément le jour du dépôt du budget pour passer à l'attaque, alors que les enquêtes ont duré des mois et que les dossiers étaient prêts depuis au moins l'automne dernier, laisse perplexe. Message au gouvernement? L'UPAC, comme tous les corps policiers, ne vit pas en vase clos, isolé du reste du monde, et on sait que son patron, Robert Lafrenière, tente de faire renouveler son mandat à la tête de cette unité. Il sera difficile de le dégommer après ce coup d'éclat.

À suivre, comme on dit dans les bulletins d'information...

Mais bon, parlons de budget pour le moment, puisqu'il y a bel et bien eu un budget, jeudi, un budget équilibré, prudent, avec des mesures aussi modestes que le sont les premiers surplus, qui annonce des réinvestissements dans les services publics, en particulier en éducation.

Cela dit, le gouvernement Couillard, malgré des noms clinquants de nouveaux programmes comme l'«École du 21e siècle», investit davantage dans le béton que dans la matière grise. Rénover des écoles qui tombent en ruine, ce n'est pas un programme éducatif.

Réparer le toit qui coule du bungalow n'est pas un projet de vie pour une famille, c'est une nécessité.

Les programmes touchant directement les services aux élèves, comme la lutte contre le décrochage (108 millions sur trois ans) ou pour l'ajout de professionnel dans les milieux défavorisés (159 millions sur trois ans) sont modestes et étalés sur plusieurs années.

Le milieu demandera plus, c'est certain, et les parents qui étaient sur le sentier de la guerre l'automne dernier resteront mobilisés, mais le gouvernement envoie le message qu'après deux ans de compressions dans les écoles, on inverse le mouvement.

Québec fait un pas dans la bonne direction, un pas modeste, à l'image de la modeste marge de manoeuvre dégagée dans ce budget 2016-2017.

Le ministre Leitao tente, par ailleurs, de calmer la grogne des parents ayant des enfants dans des garderies subventionnées en remboursant rétroactivement 50 % des frais de garde pour un deuxième rejeton. Encore là, c'est modeste, mais la mesure est une agréable surprise pour un peu plus de 30 000 familles.

Pour Montréal, l'engagement clair du gouvernement Couillard en faveur du prolongement de la ligne bleue du métro est une bonne nouvelle, à condition qu'on ne retombe pas dans une saga à la métro de Laval. Québec fait le pari que ce projet majeur de transports en commun entrera dans les critères du programme fédéral d'infrastructures du gouvernement Trudeau.

Il est souvent question des relations fédérales-provinciales dans ce budget, mais Québec reste très prudent dans ses demandes (le mot est fort) à Ottawa. Pour Bombardier, par exemple, le ministre mentionne dans son discours que «le gouvernement fédéral doit être au rendez-vous et soutenir avec nous le développement de la Série C».

M. Leitao précise aussi, avec la même retenue, que le fédéral doit respecter les priorités du gouvernement du Québec dans la sélection des programmes d'infrastructures. Idem pour le renouvellement de l'entente du financement de la santé. Québec monte toutefois un peu le ton lorsqu'il demande à Ottawa d'abandonner le projet de Commission des valeurs mobilières fédérale lancé par le gouvernement Harper et repris par celui de M. Trudeau.

Le plus grand point faible de ce troisième budget se trouve précisément où les libéraux promettaient leur point fort: la création d'emplois.

En campagne électorale, Philippe Couillard promettait la création de 250 000 emplois en cinq ans, soit une moyenne de 50 000 nouveaux jobs par année. Nous sommes loin du compte (un peu plus de 70 000 emplois en deux ans) et le ministre Leitao, sans le dire clairement, a laissé entendre jeudi que cet objectif ne sera pas atteint en raison de la croissance économique prévue et du vieillissement de la population. Pierre Karl Péladeau et François Legault ne manqueront pas de taper sur ce clou, eux qui se disputent le titre de champion du développement économique au Québec.

Les électeurs en tiendront-ils rigueur aux libéraux? Il faudrait, pour cela, qu'ils croient encore aux promesses de création faramineuse d'emplois, ce dont je doute.

En plus, les libéraux ont, maintenant que l'État est sorti du rouge, une carte maîtresse en vue des élections de 2018: convertir les surplus budgétaires en baisses d'impôts.