Justin Trudeau et sa femme, Sophie Grégoire, savoureront certainement chaque moment de leur visite officielle à Washington, en particulier demain soir à la Maison-Blanche, mais le réchauffement amorcé par le président Barack Obama pourrait ne pas durer puisque l'avenir des relations canado-américaines n'est plus entre ses mains.

Stephen Harper et Barack Obama, c'est bien connu, n'avaient pas beaucoup d'atomes crochus. Pour l'ex-premier ministre conservateur, c'était plus facile avec George W. Bush qui, fidèle à ses habitudes, avait donné un surnom à M. Harper et l'appelait familièrement « Steve », ce que ce dernier ne permettait à personne d'autre. (Je me demande quel surnom W. aurait donné à Justin Trudeau s'il l'avait croisé dans l'exercice de ses fonctions.)

Il aura suffi de deux rencontres dans des sommets internationaux l'automne dernier pour que le courant passe entre Justin Trudeau et Barack Obama, qui a convié le premier ministre canadien à un dîner officiel à la Maison-Blanche, une première en 19 ans.

Outre les mondanités, les deux hommes doivent discuter de la fluidité des transports transfrontaliers (un dossier permanent entre deux pays qui partagent près de 9000 kilomètres de frontière terrestre et échangent pour plus de 1 milliard de dollars de biens et services quotidiennement), de la lutte contre les changements climatiques et du bois d'oeuvre.

Justin Trudeau a tout intérêt à tirer le maximum de cette nouvelle relation chaleureuse, mais contrairement à lui, son hôte est en fin de mandat et la suite des choses risque d'être plus ardue avec son successeur. Que ce soit la démocrate Hillary Clinton ou le républicain Donald Trump, les deux favoris dans leur camp respectif, qui gagne la présidentielle en novembre, Justin Trudeau ne retrouvera pas un interlocuteur aussi réceptif que Barack Obama.

Prenez la lutte contre les changements climatiques, notamment, un enjeu politique, économique et même moral pour MM. Obama et Trudeau, qui pressent les dirigeants de la planète de faire des gestes concrets avant qu'il ne soit trop tard. Leurs inquiétudes environnementales ne sont pas partagées par Hillary Clinton, qui souffle le chaud et le froid sur la question depuis des années.

En fait, il est assez difficile, en parcourant les déclarations et les actions de Mme Clinton, de savoir exactement où elle loge. Elle s'oppose au projet de pipeline Keystone XL (qui transporterait du pétrole de l'Alberta jusqu'au golfe du Mexique, au Texas), affirmant qu'il « est temps d'investir dans un avenir énergétique propre », mais elle a encouragé, lorsqu'elle était secrétaire d'État, la prospection de pétrole offshore et l'extraction de gaz de schiste du sous-sol américain par fracturation hydraulique. Par ailleurs, sa fondation familiale a reçu des millions des pétrolières, de l'Arabie saoudite et même de Pacific Rubiales, une pétrolière canadienne accusée de violation des droits de la personne en Colombie.

Avec Hillary Clinton, il serait sans doute difficile pour Justin Trudeau d'élaborer « une ambitieuse entente nord-américaine sur l'énergie propre et l'environnement avec les États-Unis et le Mexique », comme promis dans son programme électoral. Mais avec Donald Trump, ce serait carrément impossible.

Le meneur de la course à l'investiture républicaine ne croit pas aux changements climatiques.

En 2012, il a même dit que cette théorie avait été créée par et pour les Chinois afin de nuire à la compétitivité du secteur manufacturier américain. Il a plus tard précisé qu'il blaguait, mais sur le fond, il demande encore des preuves de l'effet de l'activité humaine sur le climat.

M. Trump, en septembre dernier, a déclaré en entrevue que « le climat, ça monte et ça descend depuis toujours selon les années et les siècles et que nous avons vraiment des problèmes plus importants ».

Quant au pipeline Keystone XL, Donald Trump y est favorable, ce qui pourrait ouvrir une voie de discussion avec le gouvernement canadien, mais il a précisé que les États-Unis devraient en tirer un « gros paquet de profits », au moins 25 %, a-t-il dit.

M. Trump, en outre, a déjà dit qu'il « aime bien le Canada », mais on imagine mal son ouverture à la fluidité des passages à la frontière, lui qui veut ériger un mur entre le Mexique et les États-Unis.

Pour ce qui est des échanges commerciaux, l'avenir ne semble pas plus reluisant, que ce soit Clinton ou Trump qui aboutisse à la Maison-Blanche.

La première représente un parti notoirement protectionniste et le deuxième, avec son patriotisme économique exacerbé, semble plus enclin à fermer le marché américain aux entreprises étrangères qu'à négocier de nouveaux traités de libre-échange.

Justin Trudeau se gardera bien de le dire, question de ne froisser personne aux États-Unis, mais il préférerait sans aucun doute se retrouver devant Hillary Clinton lors de sa prochaine visite à Washington.

Le « cas » Trump, visiblement, provoque un malaise chez Justin Trudeau. Appelé à commenter la candidature du milliardaire, lundi, M. Trudeau a répondu, facétieux : « Le Cap-Breton est un très bel endroit », une référence directe à une station de radio de ce coin de la Nouvelle-Écosse qui offre aux Américains allergiques à Donald Trump d'immigrer là-bas s'il devait devenir président.