Si on appliquait le jargon informatique au monde politique, on pourrait dire qu'un remaniement est l'équivalent du fameux reset qu'on doit parfois effectuer pour relancer un ordinateur inefficace, lent ou carrément gelé. Philippe Couillard a fait un reset il y a moins de deux semaines, mais de toute évidence, son gouvernement a bien du mal à redémarrer.

Philippe Couillard comptait sur l'« effet remaniement » pour donner un nouveau souffle à son gouvernement qui entame la deuxième moitié de son mandat. C'est raté. Au lieu de voir les nouveaux visages censés incarner le nouveau message d'espoir souhaité par le premier ministre, on a plutôt constaté que le gouvernement s'est empêtré dans Anticosti, dans les centres jeunesse et les nombreuses compressions dans les services publics.

Mon collègue Denis Lessard a noté avec justesse, samedi dans son analyse, qu'on a vu et entendu un Philippe Couillard arrogant, cassant, à l'Assemblée nationale la semaine dernière. On a vu aussi, et c'est une première, un Philippe Couillard sur la défensive, une image qui détonne avec le calme et l'assurance qui le caractérisent habituellement.

Devant une opposition désorganisée et mal en point, les libéraux ont eu la partie plutôt facile depuis deux ans, mais on entre maintenant dans les « vraies affaires » et on voit bien, lorsque ça chauffe, que ce gouvernement est vulnérable.

De quoi sera faite la deuxième moitié du mandat libéral menant aux élections de l'automne 2018 ? Philippe Couillard mise évidemment sur les surplus budgétaires à venir, sur des annonces populaires et sur une véritable reprise économique qui tarde à se concrétiser. Pour le moment, la création d'emplois est anémique (on est bien loin des 250 000 jobs promis sur 5 ans par M. Couillard en campagne électorale) ; les moteurs de l'économie québécoise, notamment le secteur aéronautique, tournent au ralenti ; le Plan Nord et la stratégie maritime restent pour le moment des projets douteux. L'économie, terrain de prédilection traditionnel des libéraux, ne collabore pas beaucoup et Philippe Couillard donne l'impression, à tort ou à raison, de s'y intéresser assez peu.

Les libéraux espèrent évidemment que le prochain budget leur servira de tremplin pour s'éloigner de cette image d'austérité qui leur colle à la peau. Réinvestir dans les services publics, en éducation notamment ? Baisser les impôts ? Un mélange des deux ? Si on se fie au programme électoral des libéraux, ce sera 50 % des surplus en baisse d'impôts et 50 % à la dette. La partie « réinvestissement » dans les services publics n'apparaît pas dans ce programme.

Le défi de Philippe Couillard, maintenant, est de démontrer, après deux ans de régime sec, que les compressions auront été bénéfiques pour les contribuables, qu'elles ne reposent pas seulement sur un exercice idéologique de rétrécissement de la taille de l'État, une critique souvent adressée au gouvernement. Bref, c'est le moment de voir ce qu'il reste de libéral dans le parti de M. Couillard.

Il n'y a pas que les mauvaises nouvelles économiques ou la sous-performance de certains ministres qui menacent la relative quiétude du gouvernement Couillard au cours des prochains mois. Appelons cela les victimes collatérales des compressions budgétaires.

On a beaucoup parlé de la mobilisation des parents en faveur de l'école publique et des CPE, celle des enseignants aussi, en plus des grandes centrales syndicales qui accrochent régulièrement le grelot pour dénoncer des coupes.

On dénonce les pertes d'emplois et la diminution des budgets des services publics, mais on parle relativement peu des citoyens touchés par ces décisions. Pour le moment, du moins, parce que les cas les plus lamentables vont nécessairement remonter à la surface et embarrasser le gouvernement.

Un exemple frappant : la députée péquiste Véronique Hivon a soulevé à l'Assemblée nationale la situation inquiétante des services en santé mentale de sa région, Lanaudière : 1000 personnes sont en attente de soins psychologiques ou psychiatriques, et pourraient l'être pendant deux ans, en raison des compressions. Du nombre, deux se sont suicidées récemment, rapporte l'hebdomadaire L'action de Joliette.

« On prône l'importance de parler de la maladie mentale, on fait de la publicité là-dessus, mais il n'y a pas de services. Ce n'est pas tout le monde qui a les moyens d'aller au privé. Il y a des organismes dans Lanaudière qu'on peut référer, comme le Centre de prévention du suicide, mais ils n'offrent pas de soins thérapeutiques comme tels », a indiqué Marie-Josée Vallée, directrice de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), à L'action.

Les autorités sanitaires de Lanaudière se défendent en disant qu'elles ne font que répondre aux commandes de Québec et qu'elles n'ont pas reconduit certains postes considérés comme « surcroît de travail » ou « surplus à enlever de la structure », peut-on aussi lire dans l'hebdomadaire.

Ce genre de cas risque fort de se multiplier à la période des questions, gardant le gouvernement sur la défensive. Les libéraux connaissent bien cette tactique : lorsqu'ils étaient dans l'opposition, face au gouvernement Bouchard, ils dévoilaient tous les jours à l'Assemblée nationale des nouveaux cas de patients « victimes » des coupes en santé.

À Paris, en décembre, Philippe Couillard, exaspéré par les questions sur Anticosti, a lâché, sans se méfier du micro ouvert : « J'espère qu'y vont arrêter de m'écoeurer avec Anticosti, là ! », a rapporté le collègue Louis Lacroix.

Si les partis de l'opposition se mettent à dévoiler les histoires des victimes collatérales des coupes, ils auront bien plus qu'Anticosti pour « écoeurer » le premier ministre tous les jours...