Centres jeunesse, CPE, écoles, aide financière aux familles, les enfants auront rarement occupé autant de place sur l'échiquier politique québécois qu'en cette rentrée hivernale.

Les partis de l'opposition ont parlé de Rona, de création d'emplois et de relance économique, mardi, lors de la reprise des travaux à l'Assemblée nationale. Pierre Karl Péladeau et François Legault ont un faible pour ces sujets, mais ils auraient vraisemblablement plus de succès en s'attaquant au vrai point faible du gouvernement Couillard : le bilan des coupes budgétaires pour les familles.

En politique, toute vérité n'est pas bonne à dire, c'est bien connu, mais dire que les compressions budgétaires n'ont aucun impact sur les services publics, c'est aussi absurde que de prétendre qu'on peut faire la guerre au groupe État islamique sans mission de combat.

Or le gouvernement Couillard nie avec entêtement que ses compressions dans les CPE et dans les écoles puissent avoir le moindre effet sur les enfants, même si on constate le contraire tous les jours.

Prenez la coupe de 40 millions dans le programme de rénovation des écoles. Broutille sur un budget de plus de 1 milliard, diront certains. Aucun impact sur les écoles, affirme pour sa part le gouvernement.

Vraiment ? La présidente de la Commission scolaire de Montréal, Catherine Harel Bourdon, a pourtant dit mardi que trois écoles primaires sont fermées dans la métropole pour cause d'insalubrité et de vétusté, mais qu'en raison des compressions et de l'incertitude, les travaux de rénovation sont au point mort. Je le vois tous les jours à quelques pas de chez moi, dans Rosemont : la petite école de quartier est fermée depuis juin et il ne s'y passe strictement rien. Pas un seul ouvrier, pas un seul coup de marteau. Rien.

Même chose pour les CPE. Selon le gouvernement Couillard, la nouvelle ronde de compressions de 120 millions représente un « effort normal », et cela, de toute façon, n'a aucun impact sur les enfants.

Là, on sombre dans la pensée magique ou dans l'aveuglement volontaire, ce qui revient au même.

Autre exemple de « compressions virtuelles » : les coupes de 20 millions dans les centres jeunesse. Aucune incidence, a affirmé hier la ministre Lucie Charlebois. « La coupure de 20 millions, c'est purement administratif, a-t-elle lancé en réponse aux critiques du député péquiste Jean-François Lisée. Il n'y a rien dans les services qui a été retranché. Zéro, une barre. » De la magie.

Peu importe ce qu'en disent les intervenants de milieu en crise, qui sont tout de même mieux placés que les fonctionnaires à Québec - et que la ministre - pour juger des répercussions des compressions. Dire que ces coupes ont un impact sur les services, c'est de la « petite politique », tranche la ministre.

C'est aussi ce que le gouvernement Couillard disait des compressions dans les centres de désintoxication : aucun impact sur les services. Même chose dans les centres pour personnes âgées, pour les familles d'accueil de personnes lourdement handicapées, pour les centres de soins psychiatriques, pour les cours de francisation, pour les bénéficiaires de l'aide sociale, pour le logement social, pour les universités... Ce sont, à en croire le gouvernement, des compressions virtuelles aux conséquences nulles sur les services.

On se dirige apparemment vers un surplus budgétaire, mais le gouvernement Couillard est en train de creuser son déficit de crédibilité à force de nier les effets des coupes sur les services.

Cette session, qui marque la mi-mandat du gouvernement Couillard, sera pour celui-ci l'occasion de donner un coup de barre pour s'éloigner de cette image de chantre de l'austérité. Pour entrer dans des eaux plus tranquilles, pour reprendre l'expression de Philippe Couillard, lors du remaniement de son cabinet. La réalité des compressions rattrape toutefois le gouvernement, et le fait de nier les problèmes ne les fera pas disparaître.

Plusieurs observateurs croient que le gouvernement libéral profitera des légers surplus de son prochain budget pour atténuer les effets de certaines compressions, en réinvestissant dans les services publics, notamment.

Ça reste à voir. D'abord, le Québec ne nagera pas dans les surplus plantureux, et les signes d'une reprise économique durable susceptible de faire augmenter les revenus du gouvernement sont plutôt faiblards.

Ensuite, le Parti libéral s'est déjà engagé en campagne sur une répartition des surplus. Extrait du programme libéral : « Des surplus budgétaires sont prévus dès 2015-2016. Ceux-ci seront alloués à 50 % aux réductions d'impôt pour les contribuables de la classe moyenne, et à 50 % à la réduction du poids de la dette par des versements supplémentaires au Fonds des générations. »

Si le gouvernement Couillard s'y tient, oubliez le réinvestissement dans les services publics.

Cette session qui commence sera sans aucun doute un moment charnière pour Philippe Couillard. En face de lui, le chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau, joue gros lui aussi. Son défi à lui sera de se transformer en champion des services publics et en défenseur des familles de la classe moyenne. Sans toutefois laisser les questions économiques à François Legault, qui mise tout là-dessus.

Jean-François Lisée, omniprésent depuis quelques jours sur tous les fronts de la lutte pour la préservation des services publics, a bien compris, lui, que c'est là que se trouvent le pain et le beurre électoral de son parti.

Pour PKP, plus associé à l'économie, à l'entrepreneuriat et à la finance, la défense du gagne-petit et des laissés-pour-compte n'est pas forcément un « casting » naturel.