Ceux qui attendaient ou espéraient des «surprises» dans ce premier discours du Trône de l'ère Trudeau II auront certainement été déçus, mais c'est peut-être, à la base, parce qu'ils ont oublié à quoi devrait servir cette figure imposée aux contours archaïques de notre système parlementaire.

Un discours du Trône, c'est le plan de match général du gouvernement, à plus forte raison d'un nouveau gouvernement qui prend la relève d'un régime ayant occupé le pouvoir pendant la dernière décennie. Il sert à dire aux Canadiens: voici nos priorités et les principes qui nous guideront. Permettez une référence gastronomique (une fois n'est pas coutume!): un discours du Trône, c'est le menu du restaurant. Pour les recettes et les prix, il faut attendre les annonces sectorielles des ministres et, pour la vue financière d'ensemble, le budget. Hier, le gouverneur général a lu le menu du nouveau gouvernement, reprenant essentiellement tous les engagements de la dernière campagne électorale.

C'est, en fait, comme cela que ça doit fonctionner, mais nous sommes tellement habitués à voir les nouveaux gouvernements s'éloigner de leurs engagements une fois élus (surtout lorsqu'ils sont majoritaires et installés au pouvoir pour quatre ans) que nous sommes surpris et même presque déçus lorsque ceux-ci s'en tiennent, mot pour mot, à leur programme électoral.

Il faut dire aussi, et cela contribue à cet étrange sentiment de déception, que les gouvernements, toutes couleurs confondues, ont trop souvent cette manie de transformer leur discours du Trône (ou discours inaugural) en interminables catalogues de bonnes intentions. Cela se produit surtout lorsqu'un gouvernement prend de l'âge et qu'il s'écarte de son chemin initial en cherchant trop de nouveaux objectifs électoralement rentables.

Ce fut le cas, notamment, du dernier discours du Trône du gouvernement Harper, dévoilé en 2013. Plus de 7000 mots, 24 pages, une heure de lecture, nous étions, pour rester dans les métaphores culinaires, dans la liste des ingrédients et même dans leurs valeurs nutritives.

Par exemple, le gouvernement Harper allait jusqu'à parler des tarifs et des pratiques des câblodistributeurs, des frais de téléphonie cellulaire et de la survente des compagnies aériennes. Les conservateurs étiraient encore un peu leurs priorités en promettant des lois plus sévères contre les personnes qui tuent des chiens policiers!

Un peu comme Jean Charest en 2011, lors de son discours d'ouverture, qui avait annoncé que l'éducation était dorénavant la priorité de son gouvernement (après huit ans au pouvoir!), promettant 200 millions pour l'achat de tableaux blancs interactifs pour toutes les classes primaires du Québec.

Réflexe typique d'un gouvernement essoufflé et égaré.

Pourtant, le premier discours du Trône de Stephen Harper, en 2006, tenait sur 12 pages, lues en 25 minutes par Michaëlle Jean, et reprenait les cinq priorités des conservateurs: reddition de comptes et transparence du gouvernement, réduction de la TPS de 7 à 6%, durcissement du système de justice, aide financière pour la garde d'enfants et réduction des temps d'attente dans la santé.

Justin Trudeau a fait encore plus court hier: moins de 2000 mots, sur à peine six pages. Même en lisant lentement, David Johnston a eu du mal à se rendre à 20 minutes.

La surprise, ironiquement, c'est que ce nouveau gouvernement s'engage à faire... ce qu'il a dit qu'il ferait. Faut-il que nous soyons désabusés par nos élus pour que nous nous surprenions d'entendre un nouveau premier ministre dire qu'il fera ce qu'il nous a promis de faire pendant 78 jours de campagne!

On jugera l'arbre à ses fruits. Après tout, ce gouvernement a été formé il y a un mois seulement. Mais il faut admettre que, à ce jour, Justin Trudeau n'a pas emprunté les voies d'évitement usuelles et tellement tentantes pour un nouveau gouvernement qui veut simplement jouir de son nouveau statut et qui décide de remettre à plus tard (lire: à jamais) les passages les plus délicats de son programme électoral.

À la tête d'un gouvernement majoritaire, Justin Trudeau aurait très bien pu choisir de mettre en veilleuse deux sujets délicats, voire controversés, soit la légalisation de la marijuana et la réforme du mode de scrutin. Il maintient au contraire résolument le cap dans son discours du Trône, réaffirmant notamment que les élections du 19 octobre auront été les dernières tenues sous le système uninominal à un tour. La très grande majorité des partis qui ont promis une réforme du mode de scrutin lorsqu'ils étaient dans l'opposition ont prestement remisé leur projet (et leurs principes) une fois au pouvoir.

Idem pour la réforme du Sénat: Justin Trudeau promet une nouvelle façon de nommer les sénateurs dans un contexte moins partisan. Dans ce cas, toutefois, les scandales récents au Sénat et le fait que 20% des sièges sont vacants rendent la réforme urgente et incontournable.

Quelques silences, toutefois, laissent songeur dans ce discours du Trône. Rien sur le Partenariat transpacifique, qui inquiète les producteurs laitiers d'ici, rien sur certains pans industriels du Canada, dont l'industrie de l'aéronautique, et rien sur les modifications attendues à la loi C-51 (antiterrorisme).

Plus généralement, on sent, encore une fois, la volonté de Justin Trudeau de rompre avec le précédent régime, au point de préciser dans son discours du Trône ce qu'il ne fera pas, notamment, recourir aux lois omnibus ou à la prorogation.

On note, aussi, un ton résolument optimiste chez Justin Trudeau, alors qu'avec Stephen Harper, ce genre d'exercice donnait le plus souvent l'impression que le Canada était menacé, ciblé, sur la défensive.