À son premier tour de parole, Gilles Duceppe a semblé bien surpris et un brin déstabilisé. Cela n'a pas duré, toutefois, et la grande expérience du chef du Bloc de même que sa connaissance des dossiers lui auront permis de remporter ce dernier débat de la présente campagne électorale.

Parti pris pour les sables bitumineux, ponctions dans la caisse de l'assurance-emploi, projets d'oléoducs, vente de véhicules militaires en Arabie saoudite, contrats des frégates accordés à l'extérieur du Québec, détérioration de l'environnement, gestion de l'offre pour les producteurs laitiers, livraison du courrier...

Comme les attaques de M. Duceppe visaient le plus souvent Stephen Harper, celui-ci a passé une longue soirée. Ce qui ne veut pas dire que M. Harper a perdu ce débat. Du moins pas complètement, parce qu'il y avait un débat dans ce débat. Eh oui, le niqab. Sur ce sujet, le chef conservateur aura eu le dessus sur son adversaire néo-démocrate. Une phrase assassine, toute simple et prévisible, a fait mouche : « M. Mulcair, vous n'êtes même pas capable de convaincre vos propres députés. »

Thomas Mulcair s'est vaillamment défendu, accusant M. Harper de jouer à des jeux dangereux avec le niqab et rappelant que la première responsabilité d'un premier ministre est de défendre tous les citoyens, surtout les minorités. Est-ce suffisant pour stopper l'hémorragie dans les intentions de vote ? Probablement pas. 

M. Mulcair se bat sur le terrain des principes : M. Harper (comme M. Duceppe) fait de la politique sur les sentiments et les émotions.

Justin Trudeau a mieux tiré son épingle du jeu, sur cette question piège, en disant à M. Harper que son bilan en matière de défense des femmes est plutôt mauvais. « Il y a plus d'hommes contre l'avortement dans votre caucus qu'il y a de femmes qui portent le niqab au Québec », a-t-il lancé.

Le chef libéral s'en est plutôt bien tiré dans ce débat, notamment sur l'économie, dans un très bon français.

LE SPRINT FINAL

Après deux mois de campagne (elle a été déclenchée le 2 août, vous vous en souvenez ?), il ne reste que 16 jours avant le jour J. C'est donc en sprint que les chefs franchiront la dernière ligne droite. Au rythme où il voit s'éroder ses appuis, Thomas Mulcair doit regarder le calendrier avec angoisse.

Le chef du NPD reprenait la route tôt samedi matin, direction Upton dans les Cantons-de-l'Est, pour une visite dans une ferme. Pas besoin d'être devin pour savoir de quoi il sera question : la gestion de l'offre, menacée, en partie, par les négociations du Partenariat transpacifique, une méga zone de libre-échange comprenant, entre autres, les États-Unis, le Japon, le Mexique et la Corée du Sud.

Malmené par les débats entourant le niqab, le NPD mise sur la protection de la gestion de l'offre, chère au milieu agricole québécois, pour se relancer. Thomas Mulcair se bute, sur ce dossier, à Gilles Duceppe, qui en parle lui aussi depuis des semaines et qui semble profiter d'une remontée dans les intentions de vote.

L'arrivée du niqab aura été, certes, un élément majeur dans cette campagne au cours des trois dernières semaines, mais il est difficile de croire qu'elle explique à elle seule la débandade du NPD, au Québec, mais aussi en Ontario.

Au Québec, le NPD n'a pas de racines profondes ni d'histoire commune avec l'électorat, contrairement à l'Ontario ou la Colombie-Britannique, notamment. 

En Ontario, le souvenir des déboires du gouvernement de Bob Rae, il y a plus de 20 ans, joue encore, admettent les stratèges néo-démocrates. Moins qu'avant, mais ils demeurent tout de même un frein aux ambitions des orange.

Il y a plus. Comment expliquer, par exemple, que bien des électeurs sont prêts à tourner le dos au NPD pour appuyer le Parti libéral (surtout en Ontario), qui a pourtant la même position que le parti de Thomas Mulcair sur le port du niqab ?

Peut-être bien que certains électeurs cherchaient une raison de ne pas voter NPD, par manque de confiance ou faute d'atomes crochus et d'histoire commune.

À l'opposé, bien des électeurs sont des conservateurs dans le placard, c'est-à-dire qu'ils pourraient voter PCC sans nécessairement le dire aux sondeurs, ce qui les rend indétectables. La fameuse prime à l'urne, pour reprendre l'expression de Robert Bourassa. D'autres électeurs, enfin, pourraient se « boucher le nez » et voter Harper parce qu'ils apprécient son programme économique ou son discours « loi, ordre et lutte au terrorisme ».

Une des erreurs de M. Mulcair aura peut-être été, à ce jour, de miser beaucoup plus sur le changement, en promettant d'abolir plusieurs décisions du gouvernement Harper, que de proposer des politiques nouvelles qui frappent les électeurs. En ce sens, le discours du chef du NPD sonne souvent davantage comme celui du chef de l'opposition que comme celui d'un premier ministre en attente.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Les attaques du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, visaient le plus souvent Stephen Harper, hier, lors du dernier débat de la campagne.