Impossible de dire qui a gagné ce débat plutôt fade, jeudi soir, de Mme May ou de MM. Harper, Mulcair, Trudeau et Duceppe, mais le chef bloquiste a profité de sa position de négligé et de sa grande expérience pour imposer les sujets, tandis que le chef néo-démocrate a pu s'en remettre à sa grande combativité pour marquer quelques points.

Quant à Justin Trudeau et Stephen Harper, on a vite constaté les limites du premier en français et l'opportunisme du second sur la question du niqab.

Ah oui, il y avait aussi Elizabeth May, dont le français ne s'est visiblement pas amélioré depuis 2011, mais qui a quand même réussi, lorsqu'on arrivait à comprendre ce qu'elle disait, à mettre le doigt sur les gros bobos du gouvernement Harper.

Tout cela a donné, pour finir, un débat bien en deçà de ce à quoi on s'attendait. Ou de ce qu'on espérait. Bien en deçà des enjeux de ces élections.

Est-ce que ce débat change la donne ? J'en doute. Aucun des chefs des trois principaux partis n'a réussi à se démarquer de façon décisive. Dans les circonstances, au Québec, le NPD n'a rien perdu hier soir et ses adversaires n'ont rien gagné.

Au Canada, Stephen Harper se retrouve dans une position familière, premier, mais à la limite de la majorité comme dans la dernière ligne droite des campagnes de 2006, 2008 et 2011.

Il a failli y avoir de bons échanges entre Thomas Mulcair et Stephen Harper, mais l'insistance du chef néo-démocrate à vouloir absolument parler en même temps que son adversaire conservateur, tout en le montrant du doigt, aura réduit le meilleur segment à une engueulade entre deux gars chauds dans une taverne.

C'est finalement Gilles Duceppe qui aura frappé le meilleur coup de cette soirée, bien servi par son expérience et par le fait qu'il n'avait, contrairement à MM. Harper, Mulcair et Trudeau, aucune pression. Note aux chefs pour le face à face de TVA, cette semaine : Toujours se méfier de Gilles Duceppe en débat. Celui de jeudi était son seizième. Il connaît ses dossiers mieux que quiconque et sait « gérer le chronomètre ».

Ses questions à Stephen Harper sur la relation du Canada avec l'Arabie saoudite et sur la vente de véhicules militaires à ce régime étaient mordantes. Vieux renard, il a attendu que le temps de débat soit écoulé pour lancer : « L'Arabie saoudite est votre alliée. J'en prends bonne note. » Un vieux truc dans le livre du débatteur.

Il faut dire que Gilles Duceppe avait un avantage non négligeable : il est le seul du groupe à maîtriser le français. Ça aide dans un débat en français.

Comme le lance souvent M. Duceppe à la blague : « J'ai toujours préféré les débats en anglais parce que je comprends tout, ce qui n'est pas le cas dans les débats en français. »

Jeudi soir, il fallait vraiment s'accrocher pour comprendre la plupart des interventions d'Elizabeth May (quelques-unes très pertinentes, pourtant, mais tellement laborieuses), et Justin Trudeau, moins à l'aise dans la langue de son père que dans celle de sa mère, s'est rabattu sur sa cassette. « J'ai un plan », a-t-il répété un nombre incalculable de fois. Lors des débats anglais, on a vu un Justin Trudeau combatif et passionné. Jeudi soir, on a eu droit à un Justin Trudeau coincé, formaté et nerveux. Il devait impressionner jeudi, comme il l'a fait en anglais. Il aura été, au mieux, très ordinaire. Par moments, il semblait complètement largué. C'est lui, jeudi soir au Québec, qui avait besoin de se démarquer, ce qu'il n'a pas fait.

La nervosité était palpable, d'ailleurs, chez tous les chefs, qui ont mis du temps à lancer ce débat. Résultat : aucun chef ne s'est imposé, aucun enjeu, non plus. Cela ressemble fort, encore une fois, à cette campagne.

Prochain rendez-vous en débat : ce lundi soir à Toronto, pour un débat en anglais sur les affaires étrangères.

Puis, dernier débat, en formule face à face, en français, à TVA, vendredi. Mettez un X sur votre calendrier.