Ce n'est jamais bon signe, pour un parti politique, que de devoir faire des changements à la tête de son organisation de campagne au beau milieu d'une campagne électorale. Mais lorsqu'il lui faut, en plus, faire appel à un stratège étranger après 40 jours de campagne, comme le Parti conservateur vient de le faire, c'est que ça ne tourne vraiment pas rond.

Ralentis par l'«affaire Duffy», par les mauvaises nouvelles économiques et par la crise des réfugiés syriens, les conservateurs ont été incapables, depuis le début août, de prendre réellement leur erre d'aller dans cette campagne. Il est peut-être trop tôt pour parler de panique à bord du bateau, mais chose certaine, il y a de la houle depuis quelques jours.

En début de semaine, le chef de cabinet de Stephen Harper, Ray Novak, a quitté précipitamment l'avion de campagne du chef pour rentrer au quartier général de la campagne conservatrice, à Ottawa. Pas exactement un vote de confiance envers sa directrice de campagne, Jenny Byrne, critiquée à l'interne pour les ratés du parti.

Autre signe de désorganisation, le Parti conservateur a fait appel ces derniers jours à Lynton Crosby, un stratège politique australien qui a, notamment, travaillé avec le chef conservateur britannique David Cameron, élu à la tête d'un gouvernement majoritaire le printemps dernier. M. Crosby a largement contribué à cette victoire décisive surprise de M. Cameron, selon les médias britanniques, qui parlent de lui comme «un génie diabolique» et un «maître de l'art sombre».

Le fait que Stephen Harper soit forcé de se tourner vers un stratège australien démontre, bien sûr, que son parti en arrache, mais cela impose un autre constat: le premier ministre sortant a fait le vide autour de lui au fil des années et il est aujourd'hui bien seul, privé de personnes de confiance dans son entourage.

Toutes les campagnes électorales modernes font une place disproportionnée au chef, confinant leurs candidats à des rôles de figurants lors d'annonces dans leur circonscription. C'est vrai pour tous les partis, mais c'est encore plus frappant chez les conservateurs. Même les ministres du gouvernement sortant se fondent dans le décor au point de disparaître.

Il y a deux semaines, les journaux de Toronto cherchaient en vain le ministre des Finances, Joe Oliver, faisant même des jeux de mots avec le célèbre jeu Où est Charlie?. Il faut dire qu'on venait d'apprendre que le Canada était (ou a été, c'est selon) en récession et M. Harper ne souhaitait certainement pas voir son ministre dans tous les bulletins de nouvelles et à la une des journaux. On a finalement retrouvé M. Oliver en Turquie, où il participait à une rencontre des ministres des Finances du G20.

Les organisateurs politiques estiment généralement que le chef d'un parti compte pour plus de 90% dans le choix des électeurs (sauf dans quelques circonscriptions qui votent toujours du même bord ou là où le député sortant est une sommité). C'est vrai, mais lorsqu'une campagne va mal, il peut être utile de mettre l'équipe en valeur.

En 2000, Jean Chrétien et Paul Martin avaient momentanément mis leur inimitié notoire de côté pour tourner ensemble des publicités vantant la force du gouvernement libéral sortant. L'an dernier, Pauline Marois (qui a toujours eu du mal à «passer» dans l'électorat) s'était éclipsée des pubs du PQ pour mettre ses candidats en vedette.

Au Parti conservateur, c'est le one man show de Stephen Harper, à l'exception, peut-être, de Denis Lebel, qu'on voit régulièrement dans la région de Québec. Il faut dire que plusieurs ministres conservateurs populaires auprès des militants, à l'aise avec les médias et plus connus que leurs collègues (Peter MacKay, John Baird, James Moore, Shelly Glover) ont quitté la politique avant le déclenchement de la présente campagne, dégarnissant du coup la vitrine du Parti conservateur.

Dans les publicités du Parti conservateur, on voit Stephen Harper vantant ses réalisations et son plan pour l'avenir. Les conservateurs consacrent aussi beaucoup de temps et d'argent à dénigrer leurs adversaires, mais jamais à vanter leur équipe. Il faut dire que les candidats conservateurs ont reçu la directive de se faire discrets et la majorité d'entre eux refusent carrément toute demande d'entrevue et évitent les débats locaux, comme l'ont démontré récemment plusieurs médias anglophones.

Cela dit, le Parti conservateur n'est pas le seul à tout miser sur le chef. Au NDP, il n'y en a que pour le chef, Thomas Mulcair, dont l'omniprésence a produit une éclipse totale de ses députés sortants et candidats. Comme chez les conservateurs, les pubs «positives» néo-démocrates misent exclusivement sur le chef. Seul Andrew Thomson, candidat-vedette dans Eglinton-Lawrence, que le NPD présente comme le ministre des Finances d'un gouvernement Mulcair, a eu droit à un traitement spécial.

Idem au Parti libéral, qui laisse toute la place à son jeune chef, Justin Trudeau.

Les campagnes électorales modernes sont devenues, plus que jamais, des guerres d'image axées presque uniquement sur la personnalité des chefs. Heureusement, nous ne sommes pas (encore) tombés dans la «pipolisation», comme on l'a vu en France ou aux États-Unis.

Vous souvenez-vous, dans la préhistoire, d'un premier ministre québécois qui avait fait campagne sur son «équipe du tonnerre» ?

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