Fidèle à ses positions sur les questions environnementales, le gouvernement Harper brillait par son absence cette semaine à la réunion du Sommet des Amériques sur les changements climatiques tenu à Toronto.

C'est peut-être mieux ainsi, remarquez, parce que si Stephen Harper ou sa ministre de l'Environnement, Leona Aglukkaq, s'étaient rendus à la rencontre, ils auraient trouvé le temps long. Très long même.

Les représentants des différentes délégations des Amériques faisaient la queue pour critiquer le manque de sérieux du Canada dans la lutte contre les changements climatiques. La première salve est venue de l'ex-président mexicain, Felipe Calderón, qui a reproché au gouvernement canadien de ne pas en faire assez.

Sont venues ensuite les critiques du gouverneur de la Californie, Jerry Brown.

« Le Canada, comme grand producteur de pétrole, devrait être un leader de la lutte contre les changements climatiques. »

- Jerry Brown, gouverneur de la Californie commentant l'inaction du Canada dans la lutte contre les changements climatiques.

Puis, il a ajouté, cinglant : « Ne croyez pas la propagande des pétrolières et des partis conservateurs. »

Al Gore, l'ancien vice-président de Bill Clinton converti en champion de la lutte contre les changements climatiques, a lui aussi souligné l'urgence d'agir.

En principe, les règles primaires de la diplomatie imposent aux visiteurs étrangers une certaine retenue dans leurs critiques envers le pays qui les reçoit. Cette fois, on avait laissé les gants blancs à la maison et on ne s'est pas gêné pour déplorer publiquement la très grande timidité du Canada en matière de protection de l'environnement.

Est-ce suffisant pour ébranler Stephen Harper ? C'est plus que douteux. Le premier ministre conservateur n'a pas l'habitude de se laisser émouvoir par les critiques des pays étrangers ou même de l'ONU, quitte à froisser nos plus grands alliés, notamment les États-Unis.

M. Harper ne se laisse pas démonter davantage par les critiques intérieures, peu importe le sujet, d'ailleurs. À Toronto, il s'est pourtant passé quelque chose de très important : pour la première fois, les trois plus grandes provinces, l'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique, se sont liguées dans un front commun informel contre la position du gouvernement Harper en matière de lutte contre les changements climatiques. Les trois provinces sont favorables à un marché du carbone (et s'y sont engagées), tout comme la Californie, une solution honnie et même ridiculisée par les conservateurs à Ottawa. Ajoutez l'Alberta, qui, sous la gouverne de la première ministre néo-démocrate, Rachel Notley, veut resserrer les mesures environnementales, et vous obtenez une coalition représentant plus de 85 % de la population canadienne favorable à un engagement sérieux et immédiat dans la lutte contre les émissions polluantes.

Philippe Couillard et son homologue ontarienne, Kathleen Wynne, ont tous deux eu des mots durs envers le gouvernement Harper. En année électorale, Stephen Harper peut-il ignorer un tel désaveu de ses programmes environnementaux sans risquer de perdre des plumes aux yeux de l'électorat ?

La réponse courte (et crue) est : oui, probablement. Soyons réalistes : aucun parti ne perd ou ne gagne d'élection sur le thème de l'environnement au Canada. C'est probablement vrai partout ailleurs, à de rares exceptions. En matière de protection de l'environnement, nous sommes tous pour la vertu, mais nous trouvons toujours plus polluants que nous pour nous déculpabiliser.

M. Harper, qui a érigé la division au rang de stratégie cardinale, sait fort bien qu'il convaincra une bonne partie de l'électorat en opposant la lutte contre les changements climatiques à la création d'emplois. Il sait aussi qu'il se trouve au Canada suffisamment d'électeurs indifférents aux changements climatiques, qui nient même parfois la réalité de ceux-ci ou l'influence néfaste de l'activité humaine, pour maintenir sa base électorale. Ce pourquoi les conservateurs continuent de qualifier de « taxe » toute initiative visant à mettre un prix sur les émissions de gaz à effet de serre. Ils l'ont fait avec le Plan vert de Stéphane Dion, puis avec celui de Michael Ignatieff, et le font maintenant avec les propositions de Justin Trudeau et de Thomas Mulcair.

Il faut dire aussi que malgré les critiques entendues à Toronto ces derniers jours, certains détracteurs du gouvernement Harper disent une chose et son contraire en matière d'environnement.

Prenez Philippe Couillard, par exemple, qui est très actif dans les rencontres internationales sur les changements climatiques, mais qui se montre aussi très favorable à l'exploitation du pétrole au Québec, au passage de pipelines sur son territoire et à d'autres projets controversés.

Cette semaine, Philippe Couillard a donné l'exemple de la Norvège, qui produit du pétrole tout en menant des politiques environnementales sérieuses. La comparaison est boiteuse. La Norvège produit du pétrole depuis des décennies alors que le Québec n'est qu'au stade exploratoire. En Norvège, on ne se demande pas s'il faut ou non se lancer dans l'aventure, et les questions éthiques n'étaient pas aussi criantes lorsque le pays scandinave s'est mis à forer. Les solutions de rechange au pétrole étaient, par ailleurs, beaucoup plus rares.

Prenez aussi Thomas Mulcair, très critique lui aussi du gouvernement Harper. Les orange aiment bien se draper de vert, mais leur chef est tout de même favorable au projet de pipeline d'Énergie Est, qui traverserait le Québec.

C'est malheureux que l'environnement ne passionne pas davantage les électeurs. Surtout que le 19 octobre, ceux-ci désigneront celui qui les représentera le mois suivant, à la grande conférence sur le climat de Paris, un jalon jugé, par les experts de la lutte contre les changements climatiques, aussi important que le fut Kyoto.