N'ajustez pas votre appareil : le NPD pouvait, mardi, remporter les élections en Alberta et ainsi mettre fin à plus de 40 ans de règne sans partage du Parti conservateur.

L'onde de choc d'un tel séisme se répercuterait assurément partout au Canada, et en particulier à Ottawa, où les principaux partis peaufinent leur stratégie en vue des élections fédérales du 19 octobre.

Pour le NPD de Thomas Mulcair, une victoire des cousins provinciaux albertains serait une formidable source de motivation. Imaginez : si les Albertains, réputés plus à droite que leurs compatriotes des autres provinces, sont prêts à élire le NPD, pourquoi le reste du pays hésiterait-il ? Troisième dans les sondages nationaux depuis des mois, le NPD prendrait volontiers cette nouvelle encourageante.

À moins de six mois des élections fédérales, les partis dévoilent leur jeu et on commence à avoir une idée un peu plus précise du paysage électoral. 

La bataille qui se dessine mettra aux prises Stephen W. Harper, premier ministre en guerre, contre Justin des Bois, qui veut détrousser le 1 % pour redonner à la classe moyenne, et Obi-Tom Kenobi, qui veut chasser du pouvoir le côté obscur de la Force.

Après le budget conservateur, il y a deux semaines, le chef libéral Justin Trudeau a abattu hier une carte maîtresse en rendant public son plan fiscal.

Encore là, n'ajustez pas votre appareil, même si vous avez l'impression que le rouge vire à l'orange. Les libéraux promettent de taxer les riches (les contribuables gagnant plus de 200 000 $, tout en diminuant l'aide aux familles dont les revenus combinés dépassent 150 000 $), d'abolir le fractionnement du revenu et de ramener le plafond des CELI à 5000 $ (cette mesure sera annoncée plus tard), deux mesures réputées plus favorables aux plus riches. Avec la marge de manoeuvre fiscale, Justin Trudeau veut réduire de 22 % à 20,5 % le taux d'imposition des contribuables dont le revenu annuel oscille entre 44 000 $ et 89 000 $.

La grande nouveauté, c'est qu'il n'y a pas, cette fois, de grands programmes nationaux pour les garderies, en éducation ou en santé, par exemple, dans la proposition libérale. « Nous sommes devenus un vrai parti fédéraliste, qui respecte maintenant les juridictions des provinces ! », m'a lancé à la blague un proche conseiller de M. Trudeau, hier matin.

Les libéraux visent surtout la classe moyenne, cette manne électorale tant convoitée, en imposant une surtaxe aux plus riches pour mieux redonner aux plus modestes, version électorale du célèbre Robin des Bois.

Ce sont les néo-démocrates de Thomas Mulcair qui rêvent de programmes nationaux : un réseau de garderies (à 15 $ par jour) calqué sur celui du Québec, le retour du salaire minimum pour les emplois sous l'autorité du fédéral et une augmentation des transferts fédéraux en santé (et une évaluation des meilleures pratiques avec les provinces). Durant les années Chrétien, un programme national de garderie et des normes nationales en santé revenaient à chaque élection dans le livre rouge libéral avec la régularité des crocus au printemps.

Les libéraux vantaient hier leur Justin des Bois, les néo-démocrates, eux, présentaient Obi-Tom Kenobi sur les réseaux sociaux. Une photo retouchée du fameux Jedi montrait le chef du NPD, sabre laser à la main, prêt à pourfendre le côté obscur de la Force.

La métaphore guerrière est de mise parce que Stephen Harper, lui, a revêtu, plus que jamais, son uniforme de commander in chief. Au Canada, officiellement, le chef des armées, c'est le gouverneur général, mais dans les faits, c'est le premier ministre qui dirige. Avec la lutte contre le groupe État islamique, Stephen Harper est résolument devenu un premier ministre en guerre, comme George W. Bush était un « président en guerre » (war president).

Certes, M. Harper vantera, en campagne électorale, son bilan économique et ses baisses d'impôts, mais il se présentera aussi comme le seul leader déterminé à en finir avec les djihadistes, ici comme ailleurs dans le monde. Il a même transporté sa précampagne avec lui, la fin de semaine dernière, en Irak et au Koweït, où il a vanté son projet de loi C-51, qui donne plus de pouvoirs aux agences de renseignement et à la police. Faire un lien direct entre le travail quotidien du Service canadien du renseignement de sécurité et le bombardement aérien de positions du groupe État islamique en Irak ou en Syrie, c'est, disons, un peu tiré par les cheveux. Mais la rhétorique électorale guerrière ne s'embarrasse pas des nuances, c'est bien connu. En cela, M. Harper a bel et bien du W. dans le nez.

Je parie d'ailleurs que le premier ministre ne s'émouvra pas du mauvais traitement subi par des prisonniers afghans aux mains de la police militaire canadienne, à Kandahar, histoire déterrée par mon collègue Joël-Denis Bellavance.

C'est bien ce même gouvernement qui a autorisé, en 2010, les services secrets canadiens à utiliser des renseignements obtenus (par une tierce partie) sous la torture et qui leur a permis, en 2013, d'échanger des informations à l'étranger, même si cela devait mener à des cas de torture.

C'est aussi ce même gouvernement qui s'oppose obstinément à la libération d'Omar Khadr.

Tout cela plaît aux électeurs conservateurs. La réélection, en octobre, de Stephen Harper, comme celle de W. Bush en 2004, repose en grande partie là-dessus.

Photo Adrian Wyld, archives La Presse Canadienne

Après le budget conservateur, il y a deux semaines, le chef libéral Justin Trudeau a abattu hier une carte maîtresse en rendant public son plan fiscal.