Officiellement, le Canada n'est pas en guerre. Pas au sens traditionnel du terme, du moins. Légalement non plus, nous ne sommes pas en guerre. Politiquement, toutefois, Stephen Harper a fait clairement le choix, hier, de mener sa prochaine campagne électorale sur fond de guerre contre le groupe État islamique.

Les deux principaux partis de l'opposition, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti libéral (PLC), au contraire, ont décidé de ne pas suivre le gouvernement Harper dans cette nouvelle aventure prolongée d'un an et, surtout, étendue à la Syrie (en plus de l'Irak).

On savait que Thomas Mulcair refuserait d'appuyer la motion du gouvernement conservateur, même si celui-ci avait circonscrit la portée de la mission canadienne géographiquement et militairement. L'ajout de la Syrie aux zones de bombardement n'aura fait que conforter les néo-démocrates dans leur opposition.

Le refus de Justin Trudeau de suivre Stephen Harper, incertain au cours des dernières semaines, aura aussi été décidé à la lecture de cette motion qui engage le Canada à se joindre aux opérations de bombardements en Syrie.

Les débats entre MM. Harper, Mulcair et Trudeau, hier aux Communes, auront sans doute donné le ton des échanges de la prochaine campagne électorale sur les questions de sécurité, de lutte contre le terrorisme et, plus généralement, du rôle du Canada dans le monde.

M. Harper, on le sait, n'a jamais été un chaud partisan de l'ONU et il n'attendra certainement pas une résolution ou le feu vert de cette instance pour engager le Canada dans la lutte armée contre les groupes terroristes à l'étranger. Les arguments de MM. Mulcair et Trudeau en faveur d'une intervention canadienne sous l'égide de l'ONU ou d'une action purement humanitaire n'auront vraiment pas ému le premier ministre. Pas plus que l'absence de cadre légal des frappes en Syrie ou que la «complicité» avec le régime de Bachar al-Assad, qui bénéficiera forcément des interventions de la coalition contre les djihadistes. Selon M. Harper, qui n'a pas, de toute évidence, étudié en droit international, le Canada a le droit de bombarder des cibles de l'organisation État islamique en Syrie parce ce groupe est une menace pour la sécurité intérieure du Canada.

Pas sûr que cette position tiendrait la route à l'ONU, mais Stephen Harper fait le pari que les électeurs canadiens ne se formaliseront pas trop, eux non plus, de ces subtilités légalistes ou diplomatiques.

Les divergences d'opinion entre M. Harper et ses adversaires néo-démocrates et libéraux sont beaucoup plus profondes, de toute façon. Elles touchent la notion même de l'engagement militaire du Canada à l'étranger et le rôle du pays dans la lutte contre le terrorisme. Pour Thomas Mulcair, le premier ministre veut entraîner plus loin encore le Canada dans un «bourbier», sans objectif ni stratégie de sortie de guerre. «Ce n'est pas notre guerre», a lancé le chef du NPD aux Communes, une déclaration soigneusement notée par les stratèges conservateurs. Elle sera toujours utile, en campagne électorale, pour convaincre les électeurs que M. Mulcair minimise les risques d'attaques terroristes au Canada et qu'il veut désengager le Canada de la guerre contre le terrorisme.

M. Mulcair en a rajouté, affirmant que Stephen Harper «veut sa guerre» et qu'il a manqué de transparence sur l'implication réelle des soldats canadiens au sol en Irak, où un sergent canadien a été tué il y a quelques jours par des tirs amis kurdes.

La réaction des conservateurs aux Communes, qui ont chahuté le chef néo-démocrate à quelques reprises, laisse présager des débats chauds en campagne électorale. Cela dit, à 20% dans les sondages (sauf au Québec, où il est plutôt autour de 30%), le NPD n'est pas la principale menace pour les conservateurs. Les libéraux les inquiètent davantage. Les plus récents sondages indiquent que conservateurs et libéraux sont à peu près à égalité dans les intentions de vote (surtout en Ontario) et, de toute évidence, M. Harper veut utiliser la guerre contre les djihadistes pour démontrer que Justin Trudeau n'a pas la colonne vertébrale pour devenir premier ministre. C'est une stratégie politique souvent utilisée aux États-Unis, où la question «Qui fera le meilleur commandant en chef de l'armée (commander in chief)?» revient à chaque campagne présidentielle.

Justin Trudeau, dans son opposition à l'extension de la mission, s'est montré moins mordant que son rival néo-démocrate, mais il a affirmé que celle-ci n'«est pas dans l'intérêt du Canada». Là encore, les conservateurs ont noté.

Les derniers sondages sur la prolongation de la mission démontraient un appui important des Canadiens (autour des deux tiers dans l'ensemble du pays, mais plus près de 50% au Québec), mais les questions se limitaient à une mission en Irak. L'ajout de la Syrie risque de changer la donne, puisqu'elle ouvre la porte à un engagement plus long et plus incertain contre un ennemi insaisissable dans une zone beaucoup plus vaste.

Il ne s'agit pas d'un sondage scientifique, mais en fin d'après-midi, hier, près de 3000 personnes s'étaient prononcées sur cette question sur le site du quotidien Toronto Star: 56% contre (dont 45% fortement opposés), 40% pour (dont 29% résolument favorables).

Stephen Harper mise sa réélection en grande partie sur les appuis à «sa» guerre dans les coins de pays traditionnellement favorables aux conservateurs. Et il prie sans doute pour qu'il n'y ait pas d'autres bavures en Irak et de body bags à Trenton au cours des prochains mois.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca