Finalement, l'imam Hamza Chaoui n'ouvrira pas son centre communautaire islamique dans Hochelaga-Maisonneuve. Crise évitée... jusqu'à la prochaine fois.

De toute évidence, la cellule de gestion de crise de Montréal a fait des heures supplémentaires cette fin de semaine. Le recours aux règlements municipaux et la mobilisation de l'administration municipale, à commencer par le maire Denis Coderre, auront permis de désamorcer cette affaire embarrassante. (C'est méchant, sans doute, de ma part, mais je ne peux m'empêcher de me demander comment l'administration de Gérald Tremblay aurait géré une telle histoire...)

Pas de centre communautaire islamique dans Ho-Ma, donc. Tant mieux. Mais ce n'est que partie remise.

Il y aura d'autres cas, assurément. Peut-être même que l'imam Chaoui tentera de défier la validité du règlement municipal en cour (cela dépend surtout des appuis financiers dont il dispose). Peut-être ira-t-il ailleurs ouvrir son centre parce que sur le fond - la liberté d'expression -, rien n'a été réglé. Et rien ne le sera probablement dans un avenir prévisible, du moins juridiquement, n'en déplaise aux adeptes de la pensée magique qui affirment que l'adoption d'une charte des valeurs québécoises (ou de la laïcité ou de la neutralité de l'État, appelez cela comme vous voulez) clouerait le bec, une bonne fois pour toutes, aux obscurantistes religieux.

Pas plus qu'une telle charte ne nous prémunirait contre des attentats terroristes.

Cela dit, cette nouvelle affaire aura démontré, encore une fois, l'absence de position claire du gouvernement Couillard et son malaise persistant sur les questions religieuses et identitaires. Encore une fois, le gouvernement Couillard est aux abonnés absents sur le front de la lutte contre les intégristes.

Jeudi dernier, la ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, a d'abord déclaré publiquement que les propos de l'imam Chaoui étaient à ses yeux «totalement inacceptables dans une société démocratique, une société de droit où on prône l'égalité entre les hommes et les femmes». Mme Weil ajoutait: «C'est dangereux dans le sens où ce qu'on véhicule, c'est ni plus ni moins l'oppression des femmes. C'est une déformation de nos valeurs.»

Les recours légaux du gouvernement du Québec étaient, cela dit, inexistants pour empêcher l'ouverture du centre communautaire. Pour une fois, cependant, le gouvernement défendait une position ferme plutôt que l'habituel tango sur une douzaine d'oeufs.

Cela n'a pas duré. Vendredi, après avoir été visiblement «briefée» par le bureau du premier ministre, la ministre Weil retombait dans la langue de bois et la prudence tatillonne. Ce n'est pourtant pas grand-chose de réaffirmer que le Québec ne peut tolérer des discours rétrogrades remettant en cause l'égalité entre les sexes ou discriminant les homosexuels.

L'égalité hommes-femmes est clairement inscrite dans la Charte québécoise des droits et libertés. En 2007, le gouvernement libéral de Jean Charest a même fait adopter un projet de loi réaffirmant l'égalité entre les hommes et les femmes dans la Charte. Pourquoi donc est-ce si difficile de le dire haut et fort?

Avec la Charte des droits et libertés, adoptée au Québec en 1974 sous Robert Bourassa, l'Assemblée nationale a affirmé d'une seule voix ses principes démocratiques. Il ne s'agit pas de retirer des droits à qui que ce soit, mais seulement de réaffirmer les principes fondamentaux soutenant ces droits: égalité entre les sexes, refus de toute forme de discrimination et attachement aux valeurs démocratiques.

L'État peut-il, sur cette base, faire taire un imam (ou quiconque tient des propos moyenâgeux) ou lui interdire d'ouvrir un centre communautaire? Apparemment, non. Comme l'a bien résumé Françoise David, vendredi: «Après ça, qui voudra-t-on faire taire? Et qui décidera qui doit se taire?»

Aussi détestables puissent être les paroles de certains religieux radicaux (précisons d'ailleurs que les islamistes n'ont pas le monopole en la matière), l'arbitraire n'est pas acceptable dans un État de droit.

Toute la question est de savoir si Hamza Chaoui a franchi la mince ligne séparant liberté d'expression et propos haineux ou incitant à la haine. Apparemment, il n'a pas franchi cette ligne, mais il est dangereusement près et la liberté d'expression n'est pas absolue.

En 1990, la Cour suprême avait confirmé (dans une décision serrée 4 contre 3) que l'ex-enseignant albertain Jim Keegstra avait tenu des propos haineux en disant à ses élèves que «les Juifs avaient inventé l'Holocauste de toutes pièces pour attirer la sympathie». La Cour suprême maintenait donc la décision de la cour albertaine de première instance, qui avait condamné M. Keegstra à une amende de 3000$.

Nuance importante: la Cour suprême reconnaissait que l'État violait bel et bien la liberté d'expression de M. Keegstra en invoquant l'article 93 (propos haineux), mais que cette violation était justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Ça donne des idées. Nous ne sommes peut-être pas loin du jour où il faudra nous demander s'il n'est pas justifié, dans une société libre et démocratique, de limiter le droit d'expression des «agents de radicalisation» et des «propagateurs de haine», pour reprendre les termes du maire Coderre et de la ministre Weil.

Pour joindre notre chroniqueur: vmarissal@lapresse.ca