Cela n'excuse rien ni personne, cela ne banalise certainement pas les faits ni ne les minimise, mais les allégations de harcèlement sexuel sur la colline parlementaire à Ottawa ne sont malheureusement pas surprenantes. Ce qui l'est, par contre, c'est l'absence de procédure et de politique claires en tel cas, comme s'il s'agissait d'un phénomène neuf et inusité.

Non, le tripotage, les mains baladeuses, les commentaires disgracieux ou vulgaires et le machisme ne sont pas des phénomènes nouveaux dans le monde politique. Quiconque couvre les collines parlementaires a entendu des histoires d'adjointes ou d'attachées politiques harcelées, voire agressées, par un élu ou un collègue de bureau. Des histoires de harcèlement sur les pages, autant filles que garçons, aussi.

Il y a une quinzaine d'années, j'étais alors en poste à Ottawa pour La Presse, j'avais fouillé une histoire de chef de cabinet d'un ministre libéral qui avait, selon mes informations, harcelé une jeune collègue, la poussant même à démissionner. Je n'avais pu, toutefois, trouver les preuves formelles et, de toute façon, le chef de cabinet en question avait été muté dans un poste anonyme lorsque j'ai commencé à poser des questions. Quant à la victime, elle ne voulait pas porter plainte et encore moins raconter son histoire dans le journal. Elle venait de trouver un nouveau job dans le privé et elle craignait la réaction de ses nouveaux patrons.

J'ai aussi vu, plusieurs fois, des collègues journalistes femmes subir les commentaires équivoques de certains élus. Et de certains collègues, dois-je ajouter. J'ai connu, notamment, deux femmes journalistes qui préféraient monter sept étages à pied plutôt que de risquer d'être exposées aux mains traînantes et aux regards insistants d'un collègue particulièrement lourd.

C'est certainement moins fréquent aujourd'hui qu'il y a 20 ans, mais n'allez surtout pas croire que le machisme et la prédation ont disparu des collines parlementaires. D'où ma surprise, peut-être un peu naïve, de constater qu'aucune politique contre le harcèlement n'a été adoptée par les Communes et que personne ne savait, mercredi, quelle est la procédure à suivre pour enquêter et, éventuellement, sévir contre les fautifs.

On dit souvent que pour régler un problème, il faut d'abord reconnaître qu'il existe, le nommer et, ensuite, vouloir vraiment le contrer. Cette absence de politique, dans un milieu où des abus se produisent depuis toujours, démontre encore une fois à quel point il est difficile pour les victimes de porter plainte au grand jour pour que les choses, enfin, changent.

Ce qui est inusité (et encore) dans cette histoire, c'est qu'elle implique deux députés libéraux, à qui on reproche d'avoir harcelé deux députées néo-démocrates. L'une des deux députées était à ce point troublée par le comportement de son collègue libéral qu'elle en a parlé au chef Justin Trudeau. Celui-ci a jugé les allégations assez sérieuses pour expulser les deux députés de son caucus en attendant le résultat d'une enquête qui sera finalement menée par le président de la Chambre des communes. La candidature de Massimo Pacetti, dans Saint-Léonard-Saint-Michel, et de Scott Andrews, dans Avalon (T.-N.), aux élections de 2015 est aussi en suspens. Il n'y a pas de doute: au Canada, en matière de comportement sexuel douteux, il y a l'avant et l'après-Ghomeshi, comme le démontre la rapidité avec laquelle M. Trudeau a réagi.

Trop rapide, cette réaction? Devait-il, par ailleurs, rendre publique cette affaire, alors que les deux députées du NPD ne le voulaient pas? Loin de moi l'envie de juger de la réaction des deux présumées victimes (j'en serais bien incapable, n'ayant jamais subi de harcèlement sexuel), mais posons la question autrement: qu'aurions-nous dit si Justin Trudeau n'avait rien fait (publiquement, je veux dire)? On l'aurait probablement accusé de vouloir protéger ses députés (et, par le fait même, son parti), de vouloir étouffer l'histoire et, ainsi, de bafouer les victimes. L'histoire aurait fini par éclater. Justin Trudeau aurait alors dit qu'il a rencontré les deux députés, qu'il leur a donné une petite tape sur les doigts et qu'il leur a ordonné de ne pas recommencer? Nous l'aurions jugé faible et même vaguement complice.

La réaction du chef libéral a été rapide et ferme, provoquant une commotion. Cela pourrait (devrait, en fait) servir de puissant avertissement à tous les harceleurs sur la colline parlementaire. Tant mieux si cela fait éclater les tabous, l'omertà et l'immunité. Tant mieux si cette histoire force les parlementaires à reconnaître le problème, à le nommer et à agir.

En Ontario, la première ministre Kathleen Wynne a révélé hier qu'elle a dû intervenir dans la dernière année pour mettre fin à des cas de harcèlement au sein de son caucus. Qu'a-t-elle fait? Qu'a-t-elle dit? Elle ne le dit pas, laissant un drap opaque sur des comportements qui devraient être dénoncés publiquement.

Dans son autobiographie, Terrain d'entente, qu'il vient de publier, Justin Trudeau raconte qu'il a été confronté à la timidité des établissements devant les cas de harcèlement et d'agression lorsqu'il était étudiant à l'Université McGill. Il militait alors au Centre contre les agressions sexuelles de l'université et raconte avoir été «poliment ignoré» lors d'une rencontre avec la direction de McGill. «Cela m'avait appris à quel point les institutions peuvent être réfractaires à se pencher sur des questions délicates comme les agressions sexuelles», écrit-il dans son autobiographie.

Le monde politique est aussi réfractaire, voire volontairement sourd et aveugle, devant les cas de méconduite sexuelle. On n'accepterait plus qu'un premier ministre passe sa main aux fesses des femmes en public, comme le faisait John Turner. Il ne faudrait toutefois pas se leurrer volontairement en pensant que ce qui n'est plus acceptable en public a nécessairement disparu en privé.