Ne me quitte pas Il faut oublier Tout peut s'oublier Qui s'enfuit déjà, Oublier le temps Des malentendus- Jacques Brel, Ne me quitte pas

À la fin de la campagne référendaire de 1995, à la veille du fameux love-in de Montréal, un collègue à l'humour caustique avait accroché au passage un conseiller du camp du Non dans l'autocar de campagne pour lui faire une suggestion inopinée:

«Hey, Mario, j'ai trouvé la toune parfaite pour votre grand rassemblement de demain, avait-il lancé, avant de lui tendre ses écouteurs pour lui faire entendre Ne me quitte pas, de Brel, qui jouait dans son Walkman.

- Très drôle», avait grincé le conseiller.

Mario Laguë (mort en 2010 dans un accident de moto à Ottawa; il était alors conseiller de Michael Ignatieff) avait ri jaune. Il avait pourtant un bon sens de l'humour, mais comme tout le monde dans le camp du Non, la confiance du début de campagne avait fait place à la nervosité, résultat direct de la remontée spectaculaire du Oui.

Je ne sais pas si les leaders écossais du camp du Non et leurs alliés de Londres écoutent Ne me quitte pas ces jours-ci (après tout, Sting, qui s'est prononcé contre l'indépendance de l'Écosse, a repris le succès de Brel en 1993), mais leur état d'esprit doit s'approcher beaucoup de celui des Daniel Johnson, Jean Chrétien et Jean Charest en 1995.

Comme le Oui québécois il y a 20 ans, le Oui écossais semblait voué à une cuisante défaite en début de campagne, traînant de l'arrière par plus de 20 points. Comme le Non québécois en 1995, le Non écossais a péché par excès de confiance et se retrouve dans les câbles à un peu plus d'une semaine du vote.

Comme le Non québécois de 1995, le Non écossais a surtout fait campagne contre les aspects négatifs d'une éventuelle indépendance, notamment les contrecoups économiques et financiers, et il a opposé la force de l'Union aux coûts de la division.

Vu d'ici, cette fin de course écossaise a un air de déjà-vu: craignant le pire, le camp du Non a lancé un SOS à Londres, qui s'apprête, à quelques jours du vote, à proposer un «new deal» aux Écossais, accordant notamment à Édimbourg plus de pouvoirs fiscaux et de taxation. Rien pour faire rêver. Un peu comme Jean Chrétien, qui avait promis, du bout des lèvres, la reconnaissance de la société distincte lors de son discours d'octobre 1995 à l'Auditorium de Verdun. Son prédécesseur, Pierre Elliott Trudeau, était lui aussi intervenu lors de la campagne référendaire de 1980, mettant ses sièges en jeu lors de son fameux discours au centre Paul-Sauvé («Un Non est un Oui au renouvellement du fédéralisme»).

Trop peu, trop tard pour les Écossais? On verra bien, mais ces engagements de dernière minute font un peu penser aux promesses d'un mari honteux qui trouve ses affaires dans un sac vert sur le balcon en rentrant chez lui après une autre incartade.

En 1995 (j'ai passé toute la campagne référendaire dans le camp du Non), on sentait clairement l'exaspération des leaders fédéralistes québécois à l'endroit des fédéraux, plus particulièrement à l'endroit de Jean Chrétien, qui tardait à tendre une branche d'olivier significative aux Québécois. D'un autre côté, les leaders du Non craignaient qu'une intervention trop marquée du gouvernement Chrétien (et du reste du Canada) ne soit très mal reçue au Québec.

Dans le livre Confessions post-référendaires, Jean Chrétien raconte à Chantal Hébert qu'il a fini par accepter, de guerre lasse, d'inclure la reconnaissance de la société distincte lors de son discours à Verdun. Visiblement, le coeur n'y était pas.

Dans le même ouvrage, Preston Manning dit avoir reproché à Jean Chrétien son approche. «J'ai eu cette discussion avec lui [M. Chrétien] plusieurs fois, et j'ai fini par essayer de raffiner mes arguments. Je lui disais: «Bouchard a un rêve et, que vous soyez d'accord ou non, c'est un rêve, une vision. On lutte contre des rêves et des visions avec des rêves et des visions. Pas avec des mesures administratives.» » De toute évidence, la voix de Preston Manning n'avait pas pesé très fort dans la balance...

Le camp du Non en Écosse semble être coincé dans la même dynamique contreproductive. Londres ne peut trop en mettre, mais il ne peut non plus rester passif.

Le premier ministre britannique, David Cameron, était au château de Balmoral le week-end dernier, séjour annuel obligé auprès de Sa Majesté, dans cette résidence écossaise de la famille royale. Dans ses mémoires, l'ex-premier ministre Tony Blair raconte que cette visite était toujours un peu tendue. Imaginez en ce moment, à quelques jours d'un vote crucial dans le Royaume-Uni. Ça ne devait pas blaguer très fort entre le thé et les scones de 5h...

Sous le signe de la clarté

On relève plusieurs similitudes entre Québec-1995 et Écosse-2014, mais il y a aussi une différence majeure: le référendum écossais a été organisé conjointement par Édimbourg et Londres, qui se sont entendus sur la question et le seuil (50% +1) de la victoire.

Les souverainistes québécois, comme les fédéralistes québécois et du reste du Canada, suivent cette campagne avec intérêt. Les souverainistes n'ont toutefois jamais reconnu la loi fédérale sur la «clarté», qui, elle, ne fixe pas de seuil acceptable.

Supposons une victoire du Non, le 18 septembre. Que diront les leaders souverainistes d'ici?

Supposons une victoire du Oui. Combien de temps faudra-t-il à Stephen Harper pour féliciter les Écossais et accueillir ce nouveau pays dans le concert des nations?