À la fin de son deuxième point de presse, hier à l'hôtel de ville de Toronto, le maire Rob Ford a lancé: «Que Dieu bénisse les Torontois», déclenchant du coup un éclat de rire dans la salle remplie de dizaines de journalistes.

Je ne crois pas que les collègues de la Ville reine voulaient se moquer du Très Haut, mais plutôt de cette pitoyable tentative d'autoréhabilitation instantanée d'un maire qui a avoué, finalement, avoir fumé du crack, après avoir nié et menti pendant des mois!

Après une journée complètement folle, au cours de laquelle M. Ford a d'abord admis, dans un point de presse surréaliste, avoir fumé du crack, il s'est présenté de nouveau au micro, son frère Doug à ses côtés, il a pris une grande respiration et a annoncé... qu'il adore son travail et qu'il veut le garder!

Rob Ford s'est excusé, il a promis de ne pas recommencer et il a dit qu'il continuerait à faire le travail pour lequel les Torontois l'ont élu.

«J'adore mon job, j'adore faire économiser les contribuables de Toronto [en diminuant les dépenses], et c'est exactement ce que je vais continuer de faire», a-t-il dit, ajoutant qu'il se sent grandement soulagé d'avoir avoué ses fautes.

Le maire Ford et ses supporters (oui, ils sont nombreux) affirment qu'il n'est accusé de rien et qu'il a été démocratiquement élu, mais cette histoire soulève de profondes questions sur la tolérance des citoyens envers leurs élus. Non pas envers leurs fautes, mais plutôt envers leurs mensonges répétés, leurs tentatives de camouflage. Et, à la base, envers leur jugement.

Toute cette affaire est une sombre farce depuis le début. Depuis des mois, les Torontois apprennent des faits embarrassants sur leur maire. Ivre en pleine rue à dire des insanités, ivre, encore, dans une réception officielle où on lui demande de partir, en furie contre des conseillers qui lui conseillent de se faire soigner. Il y a eu aussi des allégations d'attouchements et des propos homophobes et racistes, et puis, la cerise sur le gâteau, une vidéo dans laquelle on le voit fumer du crack avec des trafiquants de drogue.

C'est sans compter l'intimidation envers les élus, alliés et adversaires. Hier encore, le maire Ford aurait dit à des membres du comité exécutif qu'ils devaient l'appuyer ou démissionner pendant que son frère Doug, conseiller à la Ville de Toronto, exigeait le retrait du chef de police parce que celui-ci a révélé avoir en sa possession la fameuse vidéo incriminant le maire.

Il y a la manière et le style Ford, mais il y a surtout le manque de jugement stupéfiant, les mensonges éhontés, la fausse contrition, bref, le mépris des électeurs qu'il a trompés et bernés. La seule raison pour laquelle Rob Ford a admis et s'est excusé, c'est qu'il sait fort bien que les faits le trahiront d'un jour à l'autre. Et même dans son acte de contrition, il trouve le moyen de finasser.

«Je n'ai pas menti, vous ne m'avez pas posé la bonne question», a-t-il lancé hier midi aux journalistes de Toronto, sous-entendant, ce qui est faux, qu'ils ne lui avaient pas demandé s'il avait fumé du crack, mais seulement s'il était accro.

Apparemment, Rob Ford fait le pari qu'une faute avouée est à moitié pardonnée et que les électeurs passeront l'éponge d'ici 2014. Il est honorable, en effet, d'avouer une faute, mais un aveu n'efface pas six mois de mensonges. Surtout pas quand cet aveu est enrobé de justifications foireuses.

«J'ai fumé du crack, en effet, il y a, je dirais, environ un an, probablement pendant une de mes beuveries, mais je ne m'en souviens pas trop, et c'est pour ça que je voudrais voir la vidéo, pour voir dans quel état j'étais. Mais je n'utilise pas de drogue, je ne suis pas un toxicomane», a expliqué hier le maire Ford dans un flot parfois incohérent de paroles. Et il a ajouté: «Vous avez vu, parfois, dans quel état je suis... C'est un problème.»

Après de telles révélations, la seule phrase logique qui aurait dû sortir de la bouche de Rob Ford en fin de journée, c'est: «Je vous demande pardon et je démissionne», et non pas: «J'adore mon job et je le garde.» Il promet de ne plus recommencer, mais comment croire un homme qui a menti pendant des mois et qui avoue ne même pas se souvenir de ses agissements pendant une de ses beuveries?

Sur les réseaux sociaux, plusieurs Québécois rappelaient la consommation passée de cocaïne d'André Boisclair. Ces deux histoires sont différentes: l'ex-chef du Parti québécois a avoué avoir consommé (des années plus tôt) dès que l'affaire a été publiée. Il n'a pas menti pendant des mois.

Cette affaire Ford devient vraiment embarrassante pour ses alliés conservateurs, à Ottawa. Il serait surprenant de voir Stephen Harper et ses ministres de Toronto faire campagne de nouveau avec lui ou se pavaner devant les caméras de télévision en sa compagnie.

Pour des gens très portés sur la loi et l'ordre, les ministres du gouvernement Harper étaient très libéraux hier, disant seulement que le maire Ford a besoin d'aide et offrant même de prier pour lui.

Allumez aussi un lampion pour les Torontois...