Un référendum sur l'abolition du Sénat?

L'idée lancée (en fait, relancée) par Maxime Bernier n'est peut-être pas mauvaise, mais comme disent les Anglais, le diable est dans les détails. Et on sait qu'en matières constitutionnelles, dans ce pays, le diable est omniprésent!

Dans l'immédiat, la sortie du ministre Bernier aura au moins eu le mérite de créer une petite diversion au congrès conservateur de Calgary. Pendant quelques heures, les élus et délégués conservateurs ont eu le luxe de parler d'autre chose que des écarts de Mike Duffy. Si, en plus, Rob Ford pouvait avoir la bonne idée de démissionner cette fin de semaine, ce serait parfait comme écran de fumée...

Les conservateurs envoyés au front médiatique ont beau répéter depuis quelques jours que les Canadiens ne s'intéressent pas au Sénat, qu'ils veulent qu'on leur parle d'économie, qu'ils sont en rogne contre les sénateurs abuseurs, pas contre le premier ministre, les affaires de la Chambre haute pèsent lourd sur les épaules de ce gouvernement. Et égratignent l'image imperturbable de Stephen Harper.

Pour une première fois, on voit poindre une scratch sur le téflon du chef conservateur.

Stephen Harper a tenté de reprendre pied hier soir lors de son discours très attendu devant son parti.

Le ton était résolument électoral, mais pour les explications, les remords ou le mea culpa pour le foutoir au Sénat, faudra repasser.

En fait, Stephen Harper s'est réfugié dans une stratégie classique chez tout chef empêtré: rejeter la faute sur les autres.

Le Parti conservateur est le seul à vouloir réformer le Sénat, mais les partis de l'opposition s'y sont opposés lorsque le gouvernement était minoritaire, a dit M. Harper, ajoutant que maintenant, ce sont les tribunaux qui bloquent les réformes.

Un peu facile. Le premier ministre omet de préciser que les problèmes actuels du Sénat sont causés non pas par des projets de réforme, mais par quelques abuseurs du système qu'il a lui-même nommés. Il évite aussi de rappeler que c'est son gouvernement qui a demandé un avis à la Cour suprême et qu'il n'a pas beaucoup insisté sur la réforme du Sénat depuis qu'il est majoritaire. Il jette même la serviette, lui qui dit pourtant vouloir réformer le Sénat, en concluant que finalement, c'est aux sénateurs de démontrer qu'ils peuvent réformer leur institution.

M. Harper ne se reconnaît donc aucune responsabilité dans la crise actuelle. Il a préféré dresser un bilan positif de son gouvernement, tout en attaquant le NPD et le PLC, inaptes à diriger le pays, selon lui.

Manifestement, M. Harper a voulu envoyer un message à ceux dans son propre parti qui pensent qu'il commence à préparer sa sortie.

Cela dit, l'affaire Duffy-Wright a fait naître, pour une rare fois, des doutes dans l'esprit de plusieurs conservateurs, élus comme militants.

Dans les corridors du congrès (et malgré les efforts du Parti pour isoler les médias!), certains remettent en question ce qui a été depuis toujours la marque de commerce de Stephen Harper: son instinct et ses réflexes stratégiques.

«Il a clairement échappé le ballon et il semble incapable de reprendre le contrôle», m'a confié un député hier matin.

«Comment se fait-il que nous soyons encore pris là-dedans? demande par ailleurs un ancien stratège réformiste croisé au centre-ville de Calgary. Ils ont eu tout l'été pour régler cette histoire et ils n'ont rien vu venir? Et maintenant, ils font du rattrapage. J'ai l'impression que Stephen Harper a perdu la main!»

Au cours des derniers jours, au moins deux ministres poids lourds (Jason Kenney et Peter MacKay) et deux députés (James Rajotte et Peter Kent) ont défendu l'intégrité de l'ancien chef de cabinet de M. Harper, Nigel Wright, critiquant indirectement le premier ministre, qui a rejeté la faute sur son ancien bras droit. On ne peut pas parler d'attaque frontale, mais certainement pas non plus de serment d'allégeance. Chose certaine, le degré de loyauté ne semble pas très élevé, et plusieurs élus conservateurs admettent volontiers qu'un début de course se dessine.

Ils identifient même les premiers concurrents: Jason Kenney, Maxime Bernier, Peter MacKay, Jim Prentice...

La sortie de Maxime Bernier sur un référendum pour l'abolition du Sénat apparaît d'ailleurs aux yeux de plusieurs de ses collègues comme une manoeuvre de positionnement en vue de la prochaine course à la succession de M. Harper, ce qui en a irrité certains.

«C'est prématuré de parler de référendum et le congrès n'est ni le moment ni l'endroit pour lancer une telle idée, mais c'est du Maxime tout craché!», critique un collègue ministre.

Prématurée, peut-être, mais cette idée a fait son bout de chemin hier dans la faune politique à travers le pays.

Les néo-démocrates en ont profité pour rappeler qu'ils appuient l'abolition du Sénat depuis 2007 et les conservateurs se réjouissaient à l'idée de coincer Justin Trudeau, qu'ils accusent de vouloir maintenir le statu quo au Sénat.

Politiquement, l'idée est peut-être séduisante, mais juridiquement, ça s'annonce plus complexe.

Jeudi matin, lors d'un forum sur le Sénat organisé par le Centre Manning, à Calgary, il fallait voir le ministre responsable de la Réforme démocratique, Pierre Poilievre, marcher sur des oeufs à chaque question sur le sujet.

Visiblement, il avait autant envie de parler des détails juridiques de l'abolition du Sénat que de son dernier traitement de canal...