Au moins, Justin Trudeau ne nous a pas fait le coup de Bill Clinton, le champion toutes catégories de l'esquive politique, qui avait avoué avoir fumé de la marijuana... sans toutefois avoir inhalé!

Le même Clinton qui avait aussi dit ne pas avoir eu de relations sexuelles avec Monica Lewinsky, estimant, apparemment, qu'une fellation n'entre pas dans cette catégorie! Cher oncle Bill...

Donc, Justin Trudeau a fumé du pot? Ah bon. Pis après?

Même si la rentrée approche à grands pas, l'été, de toute évidence, n'est pas tout à fait terminé, à en juger par le contenu des bulletins d'information: les "révélations" sur la fumette occasionnelle du chef libéral et un débat orageux sur un projet de charte des «valeurs québécoises» que personne n'a encore vu...

C'est divertissant, ces petites histoires de marijuana au mois d'août, mais souhaitons tout de même que les médias d'ici ne se mettent pas systématiquement à imiter ceux des États-Unis en scrutant la vie privée des élus et des candidats. Commencera-t-on aussi à poser des questions sur l'adultère ou les histoires de couchette, sur l'orientation sexuelle ou sur l'assiduité de la pratique religieuse? Un acte de naissance, un coup parti?

Il y a quelques jours, une consoeur chroniqueuse d'un autre quotidien s'est même chargée de faire elle-même le coming out de ministres homosexuels du gouvernement Harper (ou présumés tels) qui, eux, n'ont jamais souhaité étaler leur vie privée sur la place publique, ce qui est leur droit le plus strict. De quoi je me mêle?

Mais revenons à nos moutons, ou, plutôt, à nos effluves d'herbes euphorisantes.

Avant de songer à faire un gros show de boucane avec ça, question d'embarrasser Justin Trudeau, les conservateurs devraient peut-être vérifier dans leurs propres rangs, où ils trouveront aussi des traces de cannabis.

Une visite fort instructive sur le site cannabisfacts.ca nous apprend que certains poids lourds du mouvement conservateur canadien ont déjà manipulé le joint, notamment Jim Flaherty, Stockwell Day, Mike Harris et feu Ralph Klein, entre autres. Quant au porte-étendard de la droite torontoise, le maire Rob Ford, disons que certaines rumeurs persistantes laissent croire que dans son cas, la marijuana, c'est de la petite bière.

La consommation passée et occasionnelle de pot par nos politiciens, contrairement à la coke, notamment, ne scandalise pas vraiment les électeurs canadiens. Un sondage de la maison Forum Research publié dans la revue Maclean's, l'an dernier, démontrait qu'une écrasante majorité de Canadiens sont favorables à la légalisation du pot. La firme Léger Marketing, de son côté, avait conclu après une enquête en 2005 que plus de trois électeurs sur quatre voteraient pour leur candidat préféré même en sachant qu'il a déjà fumé de l'herbe.

Même l'ex-premier ministre Jean Chrétien, qu'on ne peut certainement pas qualifier de "poteux", blaguait en 2003 en disant qu'il essaierait peut-être la chose si elle devenait légale!

Difficile donc, ici, de parler de «grave erreur de jugement» de la part de Justin Trudeau ou de le dépeindre comme un être instable et dangereux. Les conservateurs, qui ne se sont pas gênés ce printemps pour présenter le nouveau chef libéral comme un esprit léger et superficiel, se montrent d'ailleurs prudents cette fois-ci, se bornant à dire que M. Trudeau se préoccupe de choses accessoires alors qu'eux se concentrent sur l'économie.

Justin Trudeau a souvent glissé en entrevue ou en point de presse, ces derniers mois, devant chaque fois s'excuser ou corriger le tir, mais cette fois, cette sortie sur la marijuana semble orchestrée.

Pour le chef libéral, il s'agit d'une opération de positionnement politique: le PLC est plus cool, plus moderne et moins obsédé par la loi et l'ordre que ne le sont les conservateurs. Au passage, les libéraux espèrent bien sûr récupérer quelques électeurs partis au NPD en 2011.

Cette position pourrait plaire aux jeunes, ça va de soi, mais aussi aux parents d'ados et de jeunes adultes qui trouvent déraisonnable que leur progéniture risque une condamnation (donc un dossier criminel) ou même la prison pour quelques grammes de pot. Un casier judiciaire, c'est un lourd boulet à traîner pour un jeune qui veut démarrer une carrière.

Les conservateurs accuseront évidemment Justin Trudeau d'être soft on crime (ce qu'ils ont fait aussi avec ses prédécesseurs et avec les chefs du NPD et du Bloc), mais ils devront aussi expliquer pourquoi ils consacrent argent et ressources à un crime jugé aussi léger par une majorité d'électeurs.

Cela dit, le virage à 180 degrés de Justin Trudeau, qui est passé de «contre la décriminalisation» à «pour la légalisation» en quelques mois en surprendra plusieurs, renforçant l'image de la girouette souvent accolée au chef libéral. Il doit maintenant expliquer sa démarche intellectuelle, ce qui n'est pas toujours sa plus grande force.

Par ailleurs, passer directement de la prohibition à la légalisation paraîtra sans doute trop rapide, trop radical aux yeux de l'électorat, qui préfère généralement procéder par étapes. Les libéraux pourront toujours suggérer d'y aller progressivement, en commençant par la décriminalisation, comme le suggèrent les chefs de police du pays.

M. Trudeau, qui se présente comme un futur premier ministre potentiel, devra aussi tenir compte de la réaction des États-Unis, qui ne sont pas très enthousiasmés par la décriminalisation, même si le président actuel avoue, lui, avoir inhalé.