Peut-être était-ce à cause de la chaleur accablante, mais le premier ministre Stephen Harper, qui présentait lundi à Ottawa son nouveau conseil des ministres, était d'humeur massacrante lorsqu'il a brièvement rencontré les médias à Rideau Hall.

Voilà qui est ironique: M. Harper veut relancer son gouvernement, le rajeunir, lui donner un visage plus doux, plus amical, mais il dégage lui-même l'image blasée d'un leader au bout du rouleau.

Cassant, expéditif, comme s'il avait vraiment hâte de partir en vacances, il a expliqué que ce remaniement visait à rajeunir et à donner un nouveau souffle à son gouvernement. Depuis des semaines, ses conseillers répètent que le but de ce remaniement est de séduire les électeurs attirés par les libéraux de Justin Trudeau, en particulier les femmes.

On a réaménagé, en effet, la vitrine, on y a ajouté des femmes et des jeunes ministres, mais le patron de la boutique, lui, ne semble pas disposé à changer. Pour que les nouveaux venus au Cabinet changent l'image du gouvernement, il faudrait leur laisser un peu de place et de liberté, ce qui n'est pas dans les habitudes de Stephen Harper.

Il y a plusieurs recrues intéressantes dans ce nouveau Cabinet, dont quatre femmes et un ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan, mais si on leur réserve, comme c'est généralement le cas dans ce gouvernement, un simple rôle de figurant, M. Harper n'arrivera pas à casser cette image d'autocrate froid et loin des gens.

Par ailleurs, le nouveau visage de ce gouvernement n'efface pas les scandales et autres problèmes qui le plombent. À la rentrée de septembre, malgré le jeu de chaises musicales du côté du gouvernement, il y a fort à parier qu'on parlera encore de l'affaire Duffy et des autres sénateurs. Les partis de l'opposition réclameront aussi des comptes aux conservateurs sur le transport ferroviaire de matières dangereuses.

M. Harper voudra par ailleurs relancer son gouvernement vers les élections générales de 2015, mais les défis restent entiers: débloquer les projets controversés d'oléoducs, élaborer une politique environnementale cohérente, mettre de l'ordre dans le fiasco des avions de chasse F-35, mener à terme la réforme de l'assurance-emploi et, surtout, gérer la crise du Sénat.

Le gouvernement Harper est confronté au mal incurable de l'usure du pouvoir, ce pour quoi les conservateurs insistent tant pour présenter ce remaniement comme une cure de jouvence.

On exagère souvent l'effet réel d'un remaniement sur l'électorat. C'est le collègue Paul Wells, du Maclean's, qui a le mieux résumé le peu d'impact d'un tel exercice, hier matin sur Twitter, en écrivant que les électeurs opposés à un parti ne changent pas subitement d'idée après un remaniement.

Hors de la bulle parlementaire, la population ne retient pas son souffle pour savoir qui entre au Cabinet et qui en sort. C'est encore plus vrai à la mi-juillet.

Voilà pourquoi la première impression est si importante. Au Québec, cette première impression ne sera certainement pas très favorable. En fait, elle ne fera que confirmer une évidence: Stephen Harper et ses conseillers n'attendent rien du Québec et ils misent tout sur l'Ontario, là où ils ont obtenu leur majorité en mai 2011.

«On ne changerait pas de lieutenant si on avait jeté l'éponge», se défendait hier un proche de Stephen Harper. Soit, la nomination de Denis Lebel au poste de lieutenant à la place du (trop) discret Christian Paradis n'est pas une mauvaise décision, mais la diminution du poids réel du Québec au Cabinet et la nomination d'une ministre unilingue anglophone, Lisa Raitt, au très stratégique ministère des Transports n'impressionneront personne au Québec. Pour plusieurs, ce sera même un affront puisque c'est Mme Raitt qui assurera le suivi du déraillement tragique de Lac-Mégantic.

De mémoire, jamais le Québec n'aura été aussi faible au sein du gouvernement fédéral. Bien sûr, M. Harper n'a pas l'embarras du choix (il n'a que cinq députés au Québec), mais en rétrogradant MM. Paradis et Lebel, il s'isole encore un peu plus du Québec.

Le Conseil du patronat a résumé (en termes très diplomatiques) la situation en se disant «préoccupé par la perte potentielle d'influence stratégique des élus du Québec». Potentielle? Non, cette perte d'influence est bien réelle.

L'Ontario et l'Ouest, par contre, ressortent encore plus forts de ce remaniement avec de nouveaux visages, dont plusieurs jeunes ministres, tout en gardant ses piliers, notamment Jim Flaherty aux Finances, John Baird aux Affaires étrangères et Tony Clement au Trésor.

À surveiller, de nouveaux ministres prometteurs: les Ontariens Kelly Leitch au Travail et Chris Alexander à l'Immigration. La première est chirurgienne de formation; le second a été, notamment, ambassadeur du Canada en Afghanistan, il est polyglotte et très à l'aise avec les médias.

Parmi les autres gagnants de ce remaniement: James Moore passe du Patrimoine à l'Industrie; Steven Blaney quitte les Anciens Combattants pour la Sécurité publique et une nouvelle venue, la Manitobaine Shelly Glover, entre au Cabinet par la grande porte en héritant du Patrimoine.

Le jeune et impétueux député de Nepean-Carleton (région d'Ottawa), Pierre Poilievre, a lui aussi tiré le bon numéro en devenant ministre d'État à la Réforme démocra-tique. Les partis de l'opposition ont très mal accueilli cette nomination, M. Poilievre étant décrit comme le "pitbull" de M. Harper aux Communes. Hyper-partisan, toujours prêt à bondir en Chambre (ce qui lui a valu le surnom de Skippy, gracieuseté de son confrère député d'Ottawa, John Baird), il s'est aussi illustré à quelques reprises avec des réponses totalement saugrenues à la période des questions. Pierre Poilievre à la Réforme démocratique, c'est un peu comme si Tie Domi était nommé préfet de discipline de la LNH!