Ce n'est pas vrai, mauvaises langues, que les sénateurs ne travaillent pas!

Voyez, sur le site officiel du Sénat, cette description de tâches détaillée dans une brochure pour les enfants:

Q: En quoi consiste la journée d'un sénateur?

R: Les sénateurs sont très occupés. Ils peuvent:

1.discuter et débattre de questions essentielles en Chambre;

2.rencontrer les gens qu'ils représentent;

3.faire de la recherche aidés de leur personnel;

4.participer à des réunions de comités;

5.soumettre des projets de loi;

6.soumettre des pétitions provenant de groupes qui veulent être entendus;

7.répondre aux questions des journalistes;

8.aider les gens à traiter avec l'administration gouvernementale;

9.lire des livres, des rapports et des études;

10.prononcer des discours;

11. assister à des conférences;

12.voyager entre leur région et Ottawa;

13.représenter le Canada partout dans le monde.

Vous voilà bouchés, n'est-ce pas! Les sénateurs bossent comme des damnés, qu'on se le dise. Imaginez, il leur arrive même de lire des livres!

À la lumière des derniers scandales à la Chambre haute, j'ai surtout accroché aux points 2, 7 et 12 et 13.

Point 2: rencontrer les gens qu'ils représentent. De qui parle-t-on au juste? Les sénateurs ne sont pas élus et la plupart n'ont aucun lien avec leur province ou territoire, mis à part le lopin de terre qu'ils doivent y acheter pour être nommés.

Point 7: répondre aux questions des journalistes. Il aurait fallu ajouter ici: «sauf quand ils sont dans le pétrin».

Points 12 et 13: voyager entre leur région et Ottawa et représenter le Canada partout dans le monde. Ah ça, par contre, plusieurs sénateurs semblent prendre leur tâche très au sérieux!

De toute évidence, le Sénat consacre beaucoup plus d'efforts à justifier son existence auprès des enfants qu'il en fait à se rendre transparent pour les contribuables qui le financent grassement.

On appelle le Sénat la Chambre haute, mais il conviendrait davantage de parler de Chambre noire. On voit un peu mieux ce qui s'y passe avec les affaires récentes d'allocations de dépenses, de voyage et d'absentéisme, mais il faut être très déterminé et patient pour obtenir des réponses de cette institution archaïque.

Aussi absurde que cela puisse paraître en 2013, le Sénat (comme la Chambre des communes, d'ailleurs), n'est pas assujetti à la Loi sur l'accès à l'information, malgré des pressions en ce sens depuis 1986.

En novembre dernier, l'actuelle commissaire à l'accès à l'information revenait à la charge devant un comité du Sénat. En vain.

En 2002, il y avait aussi eu des pressions pour obtenir plus de transparence au Sénat, mais la forte résistance au changement des «honorables» avait fait tourner la réforme en eau de vaisselle.

À l'époque, un sénateur m'avait dit ceci: «Les sénateurs ne veulent pas que ça change parce qu'ils veulent protéger leurs privilèges, surtout ceux qui cumulent des fonctions ailleurs et qui pourraient être en conflit d'intérêts.» Une décennie plus tard, nous en sommes encore au même point.

Essayez d'obtenir des renseignements aussi simples que l'assiduité des sénateurs, leurs activités extrasénatoriales ou leurs dépenses et vous constaterez que le Sénat est resté coincé au Moyen Âge de l'information.

Il y a bien un registre en ligne des déclarations publiques des sénateurs, mais l'exercice est plutôt minimaliste.

Un exemple: les sénateurs sont tenus de déclarer leurs sources de revenus extérieures, mais ils doivent simplement indiquer qu'ils ont reçu ou recevront plus de 2000$ de cette source, sans préciser le montant ni le mandat. «Plus de 2000$», c'est plutôt vague...

Dans les déclarations courantes, on apprend, par exemple, que le sénateur conservateur Hugh Segal a touché, dans les 12 derniers mois, «plus de 2000$» de SNC Lavalin. Ah bon...

On retrouve aussi les très nombreuses activités professionnelles extrasénatoriales de certains sénateurs, dont le libéral Paul Massicotte, qui semble très occupé. Tellement, en fait, qu'on se demande bien où il trouve le temps de remplir la lourde description de tâches expliquée ci-haut aux enfants.

On apprend aussi que le sénateur conservateur Pierre-Claude Nolin est «avocat-conseil à son compte» et qu'il touche des honoraires en cette qualité. N'en demandez pas plus, par contre, ce n'est pas dans le registre public.

Il y a aussi le conservateur Michael MacDonald, membre de la direction de Canada Coal et d'une compagnie minière à Terre-Neuve, qui siège au comité sénatorial sur l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles!

Quant à Mike Duffy, dont on parle beaucoup ces jours-ci, on apprend qu'il est PDG de «Mike Duffy Media Services Inc., une entreprise impliquée dans la consultation média et les présentations publiques». Outre ses problèmes d'allocations de logement, on sait que le sénateur Duffy aurait aussi fait des représentations à ses collègues du gouvernement dans une affaire de licence télévisuelle actuellement devant le CRTC.

Un poste de sénateur ouvre bien des portes, notamment, et ce n'est pas rien, celle de la réunion hebdomadaire du caucus de son parti. C'est donc dire qu'un sénateur membre du caucus au pouvoir peut, chaque semaine, rencontrer à huis clos les membres du gouvernement et se tenir au courant des dossiers chauds, un accès privilégié qui ferait saliver n'importe quel lobbyiste.

Il y a bien un code d'éthique des sénateurs, mais il est aussi édenté que le registre public. Et malgré le vent de panique qui souffle sur le Sénat ces temps-ci, il ne faut pas s'attendre à une grande modernisation de ce musée parlementaire.

Les conservateurs, embarrassés, parlent de nouveau d'abolition du Sénat, mais il ne suffit pas d'éteindre les lumières et de mettre la clé dans la porte pour y arriver.

La réalité, c'est que Stephen Harper devra nommer au moins une douzaine de sénateurs (3 postes vacants et 9 départs à la retraite, sans compter des démissions possibles) d'ici les élections de 2015.

Puisqu'il nous faudra vivre avec le Sénat d'ici là, le premier ministre pourrait commencer par y nommer des gens réellement honorables, ce sera déjà ça de pris.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca