Peut-être étiez-vous trop occupé (grand bien vous fasse!) à embellir vos plates-bandes la fin de semaine dernière pour avoir porté attention à l'actualité politique, mais il s'est passé des choses très laides à Ottawa. Laides et graves, malgré les grands efforts de banalisation du principal responsable, le premier ministre Stephen Harper.

Les sénateurs ont encore fait des leurs. Non, pas les vilains qui ont sorti prématurément le CH et qui se défendent fichtrement bien contre les Penguins, mais les autres, ceux dont on n'entend pratiquement jamais parler. Ceux qui mènent une petite vie pépère dans un coin peu fréquenté du parlement fédéral, au sein d'une institution archaïque.

Depuis quelques semaines, le Sénat est devenu un sujet chaud à Ottawa. Tellement chaud que ça commence à sentir le roussi au bureau du premier ministre. Stephen Harper avait promis de réformer ou d'abolir le Sénat avant de prendre le pouvoir. Depuis qu'il est premier ministre, il s'emploie plutôt à enfoncer la Chambre haute à des niveaux record de bassesse.

Avant de prendre le pouvoir, M. Harper et ses réformistes redresseurs de tort s'étaient engagés à purifier les moeurs politiques à Ottawa et à ramener décence et transparence dans la capitale fédérale.

Meilleure chance la prochaine fois!

Fidèle à sa stratégie de non-communication, Stephen Harper traverse la pire crise depuis qu'il a pris le pouvoir, il y a sept ans, comme si de rien n'était, se contentant d'un court communiqué de presse pour accepter la démission de son chef de cabinet.

Son chef de cabinet, Nigel Wright, part en raison de son rôle dans l'affaire Duffy; une autre sénatrice conservatrice, Pamela Wallin, se retire du caucus en raison, elle aussi, d'une possible fraude, et le premier ministre publie un communiqué laconique de quelques mots, qui se termine ainsi: «La principale priorité de notre gouvernement est, et continuera d'être, la création d'emplois et la croissance économique pour le Canada. Cela est au centre de tous nos efforts et de toute notre attention.»

Autrement dit, tout le reste, y compris ces histoires louches impliquant son bras droit, bof, on s'en fout, nous on travaille pour la création d'emplois!

Rappelons, l'histoire n'est pas banale, que l'ex-chef de cabinet de M. Harper a «donné» 90 000$ au sénateur Mike Duffy pour que celui-ci rembourse des allocations touchées illégalement. M. Wright n'a pas jugé bon, dit-il, d'en informer son patron. Mike Duffy, lui, a carrément menti en disant qu'il avait lui-même acquitté cette dette au trésor public.

Toute cette histoire sent le mensonge, la désinformation, la magouille, la tentative de camouflage, et le lourd silence du premier ministre ne fait qu'accentuer l'impression de faillite morale d'un gouvernement élu sous des promesses vertueuses.

Dans la foulée de cette affaire, la sénatrice Pamela Wallin (elle aussi une ancienne journaliste de CTV, comme Mike Duffy, décidément...), qui fait l'objet d'une enquête comptable pour des frais de déplacement de 320 000$, a annoncé par communiqué vendredi en fin d'après-midi (ah, le bon vieux truc du vendredi après-midi...) qu'elle se retirait du caucus conservateur.

Rappelons aussi au passage les dérives d'un autre redresseur de torts du caucus conservateur, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, qui a enfreint les règles d'embauche du Sénat en faveur de son ex-petite amie.

Sans oublier, comment le pourrait-on, le flamboyant sénateur Brazeau...

À défaut de réformer le Sénat, Stephen Harper s'affaire chaque fois qu'il le peut à le déformer encore un peu plus.

La démission de Nigel Wright était inévitable dans les circonstances. Les chefs de cabinet prennent souvent les plombs pour leur patron, à plus forte raison lorsqu'ils sont personnellement impliqués dans une controverse. Mais les partis de l'opposition ont bien raison de dire que les questions demeurent.

Les réponses, par contre, ne viendront pas.

Pour M. Harper, la responsabilité s'applique à un non-élu (le chef de cabinet), mais pas à l'élu au sommet de la pyramide démocratique. Il en a fallu beaucoup moins à Jean Chrétien pour mériter (gracieuseté de mon confrère Jeffrey Simpson) le surnom de «gentil dictateur».

On laisse entendre à Ottawa depuis quelques jours que M. Harper ne pourra répondre aux questions sur ce sujet parce qu'il sera en visite officielle en Amérique du Sud. Foutaise!

Même le président des États-Unis, qui n'abuse pourtant pas des points de presse, répond aux questions de la presse américaine lorsqu'il voyage à l'étranger. Au Canada, on peut poser des questions au commandant de la Station spatiale internationale en orbite, mais pas au premier ministre quand il est à Lima!

Dans les rangs conservateurs, on a eu droit cette fin de semaine à un silence quasi généralisé. Le silence des moutons, complices des dérives éthiques ou simplement terrorisés par le grand méchant loup Harper, qui exerce encore, quoi qu'on en dise, une autorité incontestable sur son caucus. En plus, les députés savent qu'un remaniement s'en vient, ils vont donc se tenir bien tranquilles et avaler sagement toutes les couleuvres.

On verra, à la fin juin à Calgary lors du congrès conservateur, si certains militants se rebiffent devant les dérives de leur parti, mais je doute que M. Harper soit réellement inquiet. Même pour les puritains, le pouvoir vaut bien quelques compromis.

À une certaine époque, les anciens réformistes portaient en Chambre des cravates décorées de moutons pour dénoncer la servilité des députés libéraux. Ils pourraient les ressortir. Elles sont de nouveau à la mode et leur iraient fort bien.